Collapsus sur l’or
En quelques séances, les cours de l’or ont brutalement abandonné une partie de leur parcours haussier. Les explications données au phénomène sont peu convaincantes, voire fumeuses. Mais les spéculateurs "longs" se sont fait étriller. Dans le patois boursier, cette manoeuvre s’appelle "secouer le cocotier".
Pour célébrer à sa façon le 15 avril – date anniversaire du naufrage du Titanic – le marché des métaux précieux s’est offert un plongeon spectaculaire. Le cours de l’or chutait de presque 10 % sur la séance, menaçant d’apoplexie les opérateurs “longs” sur le métal précieux, qui ont dû cracher au bassinet des appels de marge. Ou bien solder en hâte leurs positions, ce qui a eu pour effet d’accélérer la tendance dépressive du moment. Que s’est-il donc passé ce jour-là qui justifiât une telle panique ? Autant que l’on sache, la fée Carabosse n’avait pas, d’un coup de baguette magique, levé les hypothèques qui grèvent le système financier tout entier, et donc la fiabilité des grandes monnaies. Car le motif premier de la forte appréciation de l’or sur ces dernières années – le prix du lingot a été multiplié par 2,5 entre 2008 et la fin 2012 – a résulté de légitimes préoccupations d’ordre monétaire : la crise financière a rendu suspectes les grandes signatures souveraines et fragilisé les devises familières aux investisseurs. De ce fait, la « relique barbare » a retrouvé ses vertus immémoriales de police d’assurance contre les désordres monétaires. Est-ce à dire, après le repli soudain de son cours, que l’assurance devient superflue et que le prix de l’or va s’écraser, bien qu’ayant tutoyé les 1 900 dollars l’once en 2011 ? Difficile à dire : en matière boursière, mieux vaut disposer d’un bon capital d’humilité avant de se hasarder à des prévisions…
Un repère mérite toutefois d’être signalé : le coût d’extraction. Certes, ce dernier varie dans des proportions importantes d’un site à l’autre, mais les mines offrant une exploitation bon marché sont désormais épuisées. En 2011, le coût moyen d’extraction s’élevait à 854 dollars l’once, selon les statistiques de la profession. On estime aujourd’hui que ce même coût doit se situer autour de 1 200 dollars, pour tenir compte de la moindre productivité des mines anciennes, des difficultés d’accès aux nouveaux gisements, du renchérissement de l’énergie, des salaires et des taxes, ainsi que du surcroît de capital nécessaire aux investissements. Les cours pourraient toutefois enfoncer ce niveau, car le stock mondial est important, même si les spécialistes divergent largement sur son étendue : de 100 000 à plus de 2 millions de tonnes, sachant que la production annuelle se stabilise aujourd’hui autour de 2 000 tonnes. Mais la limite basse de l’évaluation du stock est probablement trop pessimiste, sachant qu’à elles seules, les banques centrales détiennent à ce jour 31 700 tonnes – du moins, c’est ce que prétend leur comptabilité… En revanche, si l’on en croit l’US Geological Survey, il n’y aurait plus que 50 000 tonnes à extraire jusqu’à la fin des temps, ce qui devrait rendre le métal très rare d’ici quelques dizaines d’années.
Des arguments ésotériques
En attendant, quels sont les arguments avancés pour justifier le brutal repli des cours ? Le premier facteur aurait été l’annonce d’un ralentissement de la croissance chinoise : 7,7 % au lieu de 8 % attendus, il n’y a quand même pas de quoi fouetter un canard laqué. Mais cette perspective s’ajoute aux révisions baissières de la croissance des grands pays – Etats-Unis et Union européenne, en particulier l’Allemagne. En phase de récession, les prix sont ordinairement orientés à la baisse, y compris ceux des matières premières et précieuses. Soit. Toutefois, sauf à entamer leur réserve de whisky au petit déjeuner, les analystes ne pouvaient raisonnablement escompter, avant le 15 avril, un sursaut vigoureux de l’activité sur l’année en cours. Les corrections des prévisionnistes ne peuvent donc pas, à elles seules, être responsables du décrochement des cours.
Mais d’autres éléments sont venus enfoncer le clou. D’abord, la FED américaine était déclarée susceptible de freiner sa planche à billets, et donc de tempérer le risque inflationniste qui profite mécaniquement au prix de l’or. Ensuite, au début du mois d’avril, la banque Goldman Sachs a fait état d’un sentiment négatif sur l’évolution de l’or – c’est-à dire qu’elle avait probablement déjà engagé des positions short. Enfin, des rumeurs ont circulé au sujet des réserves de change chypriotes : la banque centrale du pays serait prête à solder son stock métallique pour boucler ses fins de mois. L’hypothèse est certes plausible, même si elle n’est pas judicieuse, mais les réserves de Nicosie ne représentent que 13,9 tonnes – environ 470 millions d’euros, une goutte d’eau sur le marché. Alors quelques commentateurs inspirés ont instillé la peur, en suggérant que d’autres banques centrales de l’Eurozone pourraient procéder de même (elles possèdent ensemble un stock de 10 784 tonnes) : les gros matous à l’affût de métal physique en seraient sans doute ravis, mais cette perspective demeure hautement improbable dans le contexte actuel. Mis bout à bout, tous ces arguments – pertinents ou chimériques – ont fait glisser les cours en-deçà des planchers de soutien graphiques – un indicateur très important pour les traders. Déclenchant ainsi de nouvelles ventes. Or, le marché à terme traite des volumes considérablement plus élevés que le marché au comptant, où s’échange le métal physique. Si bien que le cours de l’or dépend davantage des spéculateurs “papier” que des investisseurs prudents, ou frileux, qui recherchent la détention réelle de pièces ou de lingots comme protection. Le jour où les besoins d’assurance monétaire deviendront objectivement indispensables, les vendeurs d’or à découvert seront sommés le livrer du physique à l’échéance. Et ils ne le trouveront pas, sauf à des prix stratosphériques. Moralité : le napoléon à 500 euros, ce n’est pas une hypothèse absurde.