«Cette réforme n’est pas acceptable.»
Journée Justice morte le 5 décembre dernier à la cité judiciaire de Nancy comme un peu partout dans l’Hexagone. Une manière pour les professionnels du Droit avec en première ligne les avocats de participer à la journée interprofessionnelle contre la réforme des retraites. Décryptage avec Frédéric Berna, le bâtonnier de l’Ordre des Avocats du barreau de Nancy.
Le 5 décembre dernier, à l’instar d’autres barreaux de l’Hexagone, vous vous êtes mobilisés à l’occasion d’une journée Justice morte pour participer, à votre façon, à la journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites. Pourquoi cette mobilisation ?
Le 2 décembre alors que notre assemblée générale était sur le point de se réunir pour déterminer la position du barreau de Nancy sur le mouvement du 5 décembre, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, était l’invité de France Inter. Évoquant la protestation des avocats, il a conclu à la disparition de cette profession, reprenant en cela l’annonce déjà faite par le président de la République. Dans notre pays, le citoyen pourrait donc ne plus avoir la possibilité de recourir à un avocat indépendant, dans un proche avenir.
Votre profession est-donc mise à mal ?
On a tendance à oublier que la profession d’avocat participe au service public de la Justice en assistant ou représentant les citoyens démunis dans le cadre de l’aide juridictionnelle, à des tarifs inférieurs à ce qui est nécessaire au fonctionnement normal et à la rétribution décente du travail fourni. Elle assume également de nombreuses missions en faveur de l’accès au droit par des permanences de consultation.
Au niveau des retraites, votre profession entre-t-elle dans cette catégorie de régimes spéciaux ?
Le régime des avocats n’est pas un régime spécial. Il n’est pas financé par l’impôt contrairement aux régimes spéciaux mais seulement par les cotisations de ses membres, tous les avocats et avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Ce n’est pas un régime de nantis. Après une carrière complète, l’avocat perçoit une retraite annuelle de base de 16 999 euros. Ce n’est pas un régime égoïste. Il contribue, par la compensation, aux régimes déficitaires, et versera en 2020 à ce titre 120 millions d’euros.
Comment qualifiez-vous votre régime ?
C’est un régime de justice et de solidarité. Chaque avocat, à ancienneté égale a droit à la même retraite de base. Les différences de revenus, qui sont considérables, n’entrent pas en compte, pas plus que les périodes de maternités pour les femmes, qui sont prises en compte au même titre que les périodes d’activité. Les plus jeunes bénéficient également pendant leurs cinq premières années de carrière de cette solidarité, par une décote de leur cotisation de base. Ainsi ceux qui assurent l’accès quotidien au droit et à la défense de nos concitoyens les plus fragiles peuvent compter sur une retraite correcte, en dépit de leurs sacrifices en termes de revenu. Il est bon de noter que la CNBF (Caisse nationale des barreaux français) gère par ailleurs un fond d’aide sociale qui permet à l’avocat touché par un accident de la vie de bénéficier, après une étude approfondie de sa situation, d’une aide pour passer ce cap, sans remettre en cause son indépendance, puisqu’il s’adresse à des confrères.
Qu’est-ce qu’impliquerait alors l’application de la réforme ?
Un doublement de la cotisation obligatoire, portant l’ensemble des cotisations versées par un avocat (retraite, CSG-CRDS, allocations familiales, formation) à 47,6 % de son revenu. La disparition du régime plus favorable aux femmes et aux bénéficiaires de pensions de réversion. La fin du niveau de cotisations réduit en début de carrière. La fin du régime d’aide sociale géré par et pour les avocats.
Quelles seraient alors les conséquences de la réforme pour votre profession ?
La disparition de nombreux cabinets de taille modeste ou moyenne qui, en province mais aussi à Paris, assurent l’accès au droit du citoyen ordinaire. Voilà pourquoi elle n’est pas acceptable : ni pour les avocats ni pour les citoyens que les avocats peuvent pouvoir continuer de défendre demain.
Grève le 3 février 2020 ?
Nom de code : Collectif SOS Retraites ! Le Conseil national des barreaux fait partie de ce collectif regroupant près de 700 000 professionnels et rassemble 15 professions qui financent des régimes autonomes de retraite. Après la Journée justice morte du 5 décembre dernier, ce collectif a appelé à une journée de grève nationale et interprofessionnelle le 3 février 2020.