"Ce procès est une infamie": devant la CJR, Eric Dupond-Moretti donne le ton

Sa voix est calme mais le message est clair. Devant la Cour de justice de la République qui le juge pour conflit d'intérêts, Eric Dupond-Moretti a qualifié lundi son procès d"infamie" et prévenu qu'il se...

 © Quentin TYBERGHIEN
© Quentin TYBERGHIEN

Sa voix est calme mais le message est clair. Devant la Cour de justice de la République qui le juge pour conflit d'intérêts, Eric Dupond-Moretti a qualifié lundi son procès d"infamie" et prévenu qu'il se défendrait "fermement" contre les "mensonges, contre-vérités, et injures".

"Je voudrais brièvement vous dire dans quel état d'esprit je me trouve devant vous", a lancé le garde des Sceaux à la barre, "pour moi et pour mes proches, ce procès est une infamie".

"C'est bien sûr une épreuve mais c'est aussi un soulagement parce que suis venu me défendre", ajoute-t-il, arguant qu'on avait "piétiné (sa) présomption d'innocence".

L'ex-vedette du barreau, 62 ans, nommé ministre de la Justice en juillet 2020, comparaît pour "prise illégale d'intérêts". Il est soupçonné d'avoir utilisé sa position de ministre pour régler des comptes avec quatre magistrats avec qui il avait eu des différends quand il était avocat.

Ce dossier inédit fait de lui le premier ministre de la Justice en exercice à être jugé.

Il encourt cinq ans d'emprisonnement, 500.000 euros d'amende et une peine complémentaire d'inéligibilité et d'interdiction d'exercer une fonction publique.

"Vous aviez dit attendre sereinement de vous expliquer", lui a lancé le président de la CJR, Dominique Pauthe, en terminant la lecture du rapport sur les faits. "Je crois, M. Dupond-Moretti, que le moment est venu".

Procès en illégitimité

"Jusqu'à ces dernières heures, je ne me suis pas défendu", lui a répondu le garde des Sceaux, "au fond pour ne pas que mon ministère et mon action soient éclaboussés". "J'entends me défendre dignement, complètement, mais j'entends me défendre fermement".

"Monsieur le président, ce procès à mes yeux est d'abord un procès en illégitimité", poursuit Eric Dupond-Moretti en rappelant que les syndicats de magistrats, à l'origine de la plainte déposée contre lui, avaient qualifié sa nomination place Vendôme de "déclaration de guerre". 

"J'ai été avocat trente-six ans, certains avocats m'ont reproché de ne plus l'être, certains magistrats de l'avoir été", a-t-il aussi avancé.

"Naturellement", a-t-il conclu, "je répondrai à toutes les questions".

Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, qui porte l'accusation au procès, s'est adressé aux juges (trois magistrats professionnels et douze parlementaires de tous bords), pour rappeler que ce procès très inhabituel n'était "pas bien sûr sans poser difficulté".

"Pour les témoins qui vont comparaître, pour la plupart magistrats, dont certains membres du ministère public et dont la carrière dépend de celui-là même que vous vous apprêtez à juger", a-t-il précisé, demandant aux juges un "souci permanent d'objectivité, de l'impartialité".

Une sorte de "pré-réquisitoire", "bien inutile", a rétorqué l'avocate d'Eric Dupond-Moretti, Me Jacqueline Laffont, en demandant aux juges de se contenter "des faits et du droit".

Elus et juges

Eric Dupond-Moretti était entré dans la salle d'audience du palais de justice de Paris peu avant 14H00, l'air grave et un épais dossier sous le bras.

Pendant le rappel des faits qui lui sont reprochés, il a écouté, attentif, prenant des notes et faisant passer des mots à ses avocats, Mes Rémi Lorrain et Jacqueline Laffont, assis derrière lui.

Les députes et sénateurs membres de la CJR, tous vêtus de robes noires comme les juges professionnels sont eux installés de part et d'autre du prétoire. 

Pendant la lecture du rapport, certains d'entre eux comme Danièle Obono (LFI) semblaient piquer du nez. Son voisin, Bruno Bilde (RN) s'appuyait lui longuement sur le dossier de sa chaise en regardant le plafond décoré de dorures et de bois sculptés, ainsi que d'un immense tableau allégorique représentant la justice qui "protège l'innocence tandis que le masque de l’hypocrisie tombe".

Plusieurs parlementaires-juges, comme Julien Bayou (EELV, juge suppléant) ou Emilie Chandler (Renaissance), pianotaient eux sur leurs téléphones.

Une vingtaine de témoins seront appelés à la barre pendant le procès, prévu jusqu'au 16 novembre.

Parmi eux, l'ancienne ministre de la Justice Nicole Belloubet, présente dans la salle à l'ouverture de l'audience, l'ancien Premier ministre Jean Castex ou l'ex procureur général près la Cour de cassation, François Molins.

Jugé, Eric Dupond-Moretti restera ministre pendant toute la durée de son procès. Des mesures ont été prises "afin d'assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics", a détaillé à l'AFP une source gouvernementale.

Lundi, on l'a vu consulter discrètement un téléphone que lui avait transmis un des responsables de sa sécurité.

L'audience a été suspendue peu après sa déclaration. Elle reprendra mardi matin à 09H00 par son interrogatoire.

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