Calais et Caudry en reconfiguration
Un an après la sortie du redressement judiciaire de Noyon, la dentelle de Calais fait une fois de plus l’actualité judiciaire. Le fabricant Desseilles, filiale du groupe letton Lauma, sera fixé sur son sort le 21 juillet prochain quand les juges du tribunal de commerce de Boulogne-sur- Mer décideront du plan de continuation présenté par la direction. Au-delà du cas de Desseilles, la filière à deux branches (Calais et Caudry) a vécu une année mouvementée depuis le printemps 2010 avec Noyon frôlant la perte de contrôle familiale, la fusion des deux teintureries de Calais, des collaborations à Caudry, un changement de philosophie chez le fabricant phare caudrésien Holesco... Des soubresauts qui augurent d’une nouvelle ère dans la filière.
Calais qui pleure et Caudry qui rit ? La situation de la dentelle des deux places régionales est en plein mouvement. Les dernières années avaient vu l’ensemble des fabricants des deux places souffrir au possible de la conjoncture internationale. En 2010, les Calaisiens Noyon et Desseilles étaient en redressement judiciaire, Boot était toujours en sommeil, Cosetex ne tournait plus… Seul Codentel tirait son épingle du jeu bien que difficilement. Quelques mois plus tard, Noyon s’en était sorti sans l’aide proposée par les autres dentelliers. Après la disparition du teinturier Bellier, la place de Calais n’avait plus qu’une seule teinturerie, celle de Desseilles. Aujourd’hui, deux Caudrésiens et trois Calaisiens forment le capital de la nouvelle teinturerie Color Biotech. Si l’entreprise croule parfois sous les commandes, des problèmes de livraison ont touché certains clients lingers. Pour toute la place, l’avenir restait trouble : Olivier Noyon, PDG du groupe éponyme, avait en ligne de mire un chiffre d’affaires de 16 millions d’euros fin 2010, condition pour être à l’équilibre d’après les propos de son dirigeant en avril 2010. Le fabricant n’aura réussi qu’à s’approcher de la barre des 15 millions d’euros grâce au produit de la vente de certains actifs. Mieux : depuis le début de l’année, Noyon se déleste encore d’actifs : la filiale américaine Noyon Lanka qui disposait encore de cash a été vendue. Il se dit aussi que 50% de ses parts dans son usine du Skri Lanka (avec l’Indien Mas) seraient cédées. Noyon ne s’est pas remis de la crise qu’il a traversée et emploie toujours 240 personnes dans ses ateliers Leavers et tricotage. Derrière ces chiffres contrastés, le moral des dirigeants ne baisse pourtant pas : Olivier Noyon, Xavier Noyon (directeur administratif et financier) et Marc Bomy (directeur technique) ont repris à titre personnel le petit fabricant Boot qui a, depuis des décennies, ses ateliers sur le site de Noyon. Un gage de confiance pour le futur. L’avenir de Desseilles en jeu. En redressement judiciaire depuis 2010, Desseilles Fabrics, filiale du groupe letton Lauma, est à vendre. L’administrateur judiciaire l’a décidé, en mai dernier, après un bilan d’étape devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer. Desseilles a réalisé un chiffre d’affaires de 8,8 millions d’euros en 2009. L’an dernier, elle n’affichait qu’un peu plus de 8 millions d’euros pour des pertes qui atteignent 1,9 million d’euros… Le groupe letton a beau s’être laissé convaincre de vendre, aucune offre n’a été déposée sur le bureau arrageois de l’administrateur judiciaire, Eric Rouvroy, lequel n’a pas souhaité répondre aux questions de La Gazette. La réponse attendra donc le 21 juillet prochain quand la direction de Desseilles ira plaider son plan de continuation auprès des juges, et devant les émissaires des deux places qui ont consulté le dossier en juin. Trois entreprises sont intéressées: Solstiss, Holesco et Mastex. La première connaît déjà bien le dossier pour avoir fait une offre avec le fabricant Bracq en 2007 quand Desseilles avait frôlé la liquidation. A l’époque, les deux Caudrésiens avaient proposé de reprendre l’activité Leavers et de laisser à l’Autrichien Natex l’activité tricotage. Lauma l’avait finalement emporté avec une offre socialement mieux disante sous les hourras d’une foule qui scandait : “la dentelle à Calais”. Depuis, une partie du tricotage… s’en est allée en Lettonie. Desseilles emploie aujourd’hui 107 personnes et devra forcément alléger sa masse salariale pour passer l’étape du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer. La période du redressement n’est pas terminée et on peut s’attendre à ce que les juges laissent à la direction de Desseilles le temps d’appliquer un plan. Desseilles s’est déjà séparé de 37 salariés ces trois dernières années à la suite d’une baisse d’activité.
Mouvements caudrésiens. A Caudry, le spectacle de la division calaisienne a servi de leçon. Les collaborations se succèdent.
Fondé par quatre actionnaires il y a 40 ans, Solstiss (13 millions de CA) est aujourd’hui contrôlé par la famille Machu, après la cession par Roger Ledieu de ses dernières parts. L’intégration des anciennes sociétés est un processus achevé. Avec succès. Solstiss fait partie du trio de tête des plus grands fabricants de dentelles au monde. Son compagnonnage avec le dentellier Bracq ne se dément pas. Après avoir pris ensemble des positions dans la teinturerie de Calais Color Biotech (que dirige Christophe Machu), ils ont d’ailleurs fondé une filiale commune, Scaltex, dans l’effilage de la dentelle. Un atelier tourne depuis l’an dernier. De son côté, l’autre géant de Caudry, Holesco, fait sa révolution managériale : il y aura trois ans en août que Romain Lescroart a succédé à son père, Bruno. La troisième génération des Lescroart a quitté la culture du secret pour prendre une plus grande place dans la profession. En témoignent les velléités en 2010 pour prendre le contrôle de Noyon, la constitution d’un partenariat avec le fabricant caudrésien Beauvillain dans le capital de sa teinturerie La Caudrésienne, la reprise en début d’année d’un autre fabricant caudrésien (MD dentelles) en binôme avec son confrère Méry. Holesco (14 millions d’euros de CA) pratique désormais le partenariat industriel en France et s’ouvre même à l’international avec la création avec Brightsun (groupe hongkongais) d’une filiale dédiée à la commercialisation d’une marque pour l’Asie. De là à l’imaginer faire des plans sur la reprise de Desseilles… Romain Lescroart ne dissimulait pas son envie, quelques jours avant la date butoir du dépôt des offres : “Ce n’est pas décidé. On regarde, c’est une possibilité. On réfléchit”, affirmait le dirigeant de Holesco. Quel intérêt pour Holesco ? Consolidation de son chiffre en lingerie qui pèse déjà 20% de son activité totale dans un marché en légère expansion depuis le début de l’année ? Récupérer des clients ? Le groupe caudrésien aurait pu s’adjoindre l’aide d’un partenaire de la filière.
Le troisième candidat potentiel à la reprise de Desseilles était Mastex. L’entreprise thaïlandaise dispose de relais à Calais et aurait pu vouloir disposer d’une marque française. Mais l’expérience du germanochinois André Roschmann, qui avait soutenu le fabricant calaisien Brunet à bout de bras pendant cinq ans avant de renoncer, aura servi d’exemple aux éventuels investisseurs asiatiques. Les deux places de la dentelle ne sont pas au bout de leur reconfiguration, malgré le rebond du printemps.