«Le notaire est au cœur de la société»

S’ils ont mené à bien le 113e congrès de leur profession, les notaires du Nord et du Pas-de-Calais ont aussi à cœur de défendre les spécificités régionales de leur exercice. Entretien avec Mes Jean-François Ryssen et Eric Nonclercq, respectivement premier vice-président et président de la Chambre interdépartementale des notaires du Nord et du Pas-de-Calais.

Mes Jean-François Ryssen et Eric Nonclercq.
Mes Jean-François Ryssen et Eric Nonclercq.

La Gazette : Septembre 2017, Lille accueillait le 113e congrès des notaires de France dont le thème était «Le notaire au cœur des mutations de la société». Qu’en avez-vous retenu ?

Eric Nonclercq : Le 113e congrès a été un grand succès, avec 3 200 congressistes et 27 nationalités accueillies. Nous avons noté avec grande satisfaction l’attrait du thème du numérique, thème transversal s’il en est. En effet, le numérique a été mis en lien avec les thèmes des familles et des solidarités. Le congrès a permis de mettre en relief le lien entre la tradition qu’incarne le notaire et le numérique, c’est-à-dire la société de demain. Sur la sécurisation et les enjeux induits, les outils mis en place depuis 20 ans par la profession portent leurs fruits. La profession montre qu’elle arrive à créer l’alchimie entre la préservation de ces traditions qui sécurisent l’individu et le numérique qui permet de se projeter dans l’avenir. Ce congrès aura aussi été quelque part un peu fondateur, en ce sens qu’il a mis cette vision transversale au cœur de la société.

J.-F. R. : Neuf propositions adoptées par le congrès ont été adressées aux ministères concernés, et il faut deux ans avant qu’elles connaissent un véritable impact. D’ores et déjà, la seconde proposition émise par la commission Solidarités a été reprise mot pour mot dans le projet de loi de programmation de la justice. Elle vise à élargir les cas de l’ouverture de l’habilitation familiale.

Le 114e congrès a pour thème «Demain, le territoire ?». Celui du Nord – Pas-de-Calais se sent-il particulièrement concerné ?

J.-F. R. : À la fois reflet fidèle de la diversité territoriale par son agriculture, ses côtes, ses villes, son passé industriel… et en pleine mutation et reconstruction, le Nord – Pas-de-Calais s’inscrit complètement dans la thématique du 114e congrès. Comment gérer son développement, densifier, verticaliser, végétaliser, intégrer l’agriculture dans la ville. En matière énergétique, comment participer au développement des éoliennes, du solaire, du végétal, de la biomasse, à l’exploitation de la mer et des forêts ? Le notaire est au cœur de toutes les transactions. Comment réussir à accompagner au mieux le client dans la réalisation de ses objectifs ? Comment adapter les contrats et leur rédaction ? Nous sommes ainsi sollicités dans le cadre de PLU intercommunautaires et nous participons à ces travaux. 

E. N. : Au niveau régional, nous organisons une réunion par an que nous souhaitons pérenniser avec les maires et les DGS pour échanger sur nos problématiques communes, notamment l’aménagement du territoire, sachant par exemple que les collectivités devront prochainement procéder à l’évaluation de leur patrimoine. Cette thématique est abordée lors d’un colloque organisé à Valenciennes le 28 juin. 

L’actualité pour le notariat, c’est la consultation lancée pour la révision de la carte d’installation. Quel est l’état d’esprit des notaires de la région : adhésion, déception, mécontentement, résignation ? La profession a-t-elle été aussi impactée par la limitation de ses honoraires à 1% du prix d’achat d’un bien ?

E. N. : Le premier bilan doit être fait. Les notaires sont des juristes et la loi s’applique à tous les notaires. Globalement, il n’y a pas eu de soucis particuliers. Si nous avions quelques craintes, nous n’avons pas eu d’état d’âme et sommes plutôt sur un discours de vérité et de réalisme. Comme toujours dans une réforme, tout n’est pas tout rose ni tout noir. Mais les statistiques mettent en évidence des risques, et des dérapages sont à prévoir. Compte tenu des obligations de la profession tant en matière d’assurance, de perception d’impôts, de publication que de conservation des données, il nous faut être vigilants. La Chambre des notaires exercera son devoir de contrôle, notamment lors des inspections.

J.-F. R. : Au 1er janvier 2017, la Chambre comptait 429 notaires et, au 26 avril 2018, 599, en progression de 39%, soit 170 nouveaux notaires. Ces nouveaux notaires proviennent en partie de la loi Croissance qui prévoyait la création de 97 offices : 94 ont été pourvus et 24 titulaires sont effectivement installés. Les autres nouveaux notaires ont été créés par la profession par la mécanique économique classique des cessions et du développement, soit autant de notaires que la loi Croissance : 39% en un an et quatre mois, c’est énorme !

E. N. : Nous attirons l’attention aujourd’hui sur les risques de dérapages. Le 114e congrès insistera sur notre volonté et notre attachement à être un acteur du maillage territorial. Le tirage au sort, qui est une ineptie, a généré des installations et donc des concentrations très fortes en milieu urbain et un non-respect du maillage. Deux exemples : dans un rayon de 6 km autour de Seclin, il y a sept installations nouvelles pour six études existantes ; sur la zone comprise entre Saint-Pol-sur-Ternoise et Vitry-en-Artois, Bapaume et les portes de Lens, la loi Croissance prévoyait six installations en deux ans, finalement elles l’ont été sur un an et toutes à Arras. Sur certaines zones, le maillage est réel, mais sur d’autres la crainte est forte que la prochaine crise immobilière engendre un risque de liquidations judiciaires en raison de la fragilité de ces créations, à l’instar de celles que la profession a dû accompagner dans les années 2008-2009. Ces études risquent alors de se faire absorber par de plus grosses entités, à l’encontre de ce que recherche la loi Croissance. Comme toujours, l’apparence de la concertation, et notamment sur le procédé du tirage au sort, montre ses limites.

J.-F. R. : Aujourd’hui, la profession applique la loi et accueille individuellement et collectivement, notamment par l’organisation de formations, les jeunes nommés dont nous sentons à la fois la satisfaction et en même temps l’inquiétude. Leur chance et la nôtre, c’est la bonne conjoncture économique ; mais notre crainte commune, c’est le retournement économique et son lot de règlements, voire de liquidations judiciaires ! De la même façon, on peut craindre que la politique d’écrêtement décidée sur les petits actes ne mette finalement en péril les petites études et celles nouvellement créées.

E. N. : On parle d’une deuxième vague d’installations, mais il faut tenir compte de nos spécificités : un taux de pauvreté de 27,38% contre 14,2% à l’échelon national, de propriété de 35,82% contre 58%, une évolution démographique 0,16% contre 0,40%… Nous disons : attention, danger ! Aujourd’hui, laissons la profession digérer et les jeunes s’installer. N’en rajoutons pas !

Un sondage paru début avril indique que plus de sept Français sur dix sont favorables à un élargissement du domaine de compétence des notaires. Comment interprétez-vous ce signal ?

E. N. : Sans doute les Français voient-ils bien l’utilité du notariat, même s’ils ne connaissent pas encore toute l’étendue de son activité. La profession a encore un effort de communication à faire en ce sens. La loi Croissance a permis de la réveiller pour renforcer ses atouts, persévérer et amplifier. Plus que jamais, nous devons œuvrer à conforter l’idée de la nécessité du pouvoir régalien de l’Etat et de la force de la délégation de service public. Le notaire, notable poussiéreux : cette image d’Epinal n’est assurément plus d’actualité. Le notaire est au cœur de la société.