«L’avocat a un regard particulier sur le monde mais certainement pas désincarné de la réalité»
Depuis le 1er janvier 2015, Vincent Potié a pris les rênes de l’ordre des avocats de Lille. Un rôle complexe mais «passionnant», dans un contexte en pleine mutation pour des professionnels qui, de plus en plus, quittent leurs statuts d’artisans pour devenir de vrais chefs d’entreprise.
La Gazette. Quelques mois après votre prise de fonctions, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Vincent Potié. Nous sommes dans une évolution de plus en plus rapide, pour ne pas dire fulgurante ! L’avocat d’aujourd’hui n’a pratiquement plus rien à voir à celui que j’ai connu en entrant dans la profession. Ce qui n’a pas changé, c’est son cœur de métier : la défense et le conseil aux personnes. Mais les pratiques sont différentes. On a le sentiment que l’Etat n’a plus le désir d’investir le système judiciaire en exergue. Mais la souplesse est une de nos qualités, nous allons continuer d’être avocats mais de manière différente.
Vous avez dit dans une récente interview : «L’avocat n’est plus un artisan, il doit aujourd’hui se comporter comme un chef d’entreprise.» Qu’entendez-vous par là ?
De plus en plus, l’avocature nécessite une activité entrepreneuriale pour pouvoir résister et se développer. Efficacité, rentabilité et qualité sont réclamées par des clients légitimement de plus en plus exigeants. Cela passe par une structuration des cabinets. Lille a cette spécificité d’avoir une myriade de cabinets individuels. Cette situation précarise l’avocat. Si un avocat qui travaille seul a une difficulté économique passagère ou un problème de santé, il va se trouver dans une situation dangereuse.
Comment pallier ce particularisme lillois ?
En prenant conscience de la nécessite de se structurer, à la fois pour accroître la qualité des services mais aussi pour éviter une précarité dangereuse. Aujourd’hui la profession d’avocat se porte plutôt bien, mais les confrères qui ont les plus gros soucis sont ceux qui ont un accident de la vie et qui, seuls, doivent se rétablir avec difficulté. La clientèle est de plus en plus «volatile». Auparavant, on pouvait garder un client institutionnel durant toutes sa vie professionnelle. Aujourd’hui, chaque jour est une remise en question. Nous sommes des prestataires de services. La question qui se pose est de savoir si nous sommes une valeur purement marchande ou si nous apportons quelque chose de différent. Evidemment, c’est le cas ! La qualité est absolument indispensable. Rappelons aussi que ce métier est regardé avec un intérêt économique, c’est ce que nous appelons «les braconniers du droit», qui donnent, à vil prix, des conseils qui ne sont pas sécurisés, car ils n’ont ni la formation, ni la déontologie, ni les assurances responsabilité civile corollaires à toute activité. Bien sûr, il faut les combattre, mais la meilleure réponse à leur apporter est l’amélioration de la qualité de nos prestations et la transparence sur le coût de la prestation ou les modes de calcul de nos honoraires. Quand nous aurons réussi à expliquer comment se fixent les honoraires, nous aurons le bonheur d’avoir des clients plus sécurisés.
Il existerait donc encore un fossé entre la profession et le justiciable ?
C’est évident ! La profession est mal connue. Comment faire pour baisser les coûts sans affecter la qualité ? Il faut savoir que les honoraires sont libres. Mais nous allons devoir, à très brève échéance, proposer des conventions d’honoraires rappelant les modalités de fixation des honoraires, leur recouvrement, les quantums, les coûts, etc. Beaucoup d’avocats proposent déjà ce type de conventions même si elles ne sont pas encore obligatoires. Notre objectif est de faire en sorte que les gens ne viennent pas chez nous angoissés !
Quels sont les chantiers repris de votre prédécesseur, Hélène Fontaine ?
Comme je vous le disais, l’évolution de la profession est de plus en plus rapide. Il faut constamment re-imaginer, redécouvrir et retravailler sur chacun des pans de la profession. La défense et le conseil dans l’accès au droit des plus démunis est un souci permanent. Comment faire pour avoir des permanences efficaces ? Comment augmenter la qualité de la prestation mais à un coût supportable par le système d’aide juridictionnelle ? On a le sentiment d’un abandon de l’Etat. Notre gouvernement n’a pas changé le rythme du détricotage du système du gouvernement précédent. L’avocat, aujourd’hui, a davantage d’obligations de défense dans le secteur assisté qu’il n’en a jamais eu et pourtant il n’a jamais été aussi mal indemnisé. Il faut savoir que dans la plupart des domaines de l’accès au droit et de l’aide juridictionnelle, l’avocat ne fait aucun bénéfice, voire même perd de l’argent ! C’est une vraie catastrophe ! Nous essayons de trouver le système le plus rentable et le plus efficace.
Quelles solutions préconisez-vous ?
D’abord, l’Etat doit se rappeler que la garantie d’une «justice pour tous» est une obligation régalienne essentielle. Et ensuite, apporter une réponse adaptée aux besoins par des réformes, aussi bien structurelles que financières. Nous savons aujourd’hui qu’il manque chaque année 400 millions d’euros. A l’échelle de la France, c’est peu. Sachez aussi que la France fait partie des derniers pays en matière de financement de l’aide juridictionnelle. Que ce soit la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne ou la Belgique, ces pays sont bien mieux dotés que nous ! A Lille, 80% des dossiers en matière de droit de la famille sont sous aide juridictionnelle. C’est aussi une des spécificités du Barreau.
Le barreau de Lille, 5e barreau de France, de par sa position géographique, semble particulièrement attentif aux jumelages.
Nous sommes jumelés avec le Kent, Cologne, Sienne, New York, Buffalo, Marrakech, Courtrai, Tournai, Bruxelles, Gand et dernièrement avec le Niger. Le droit comparé est essentiel. Nous nous rencontrons régulièrement pour découvrir le droit de chacun. D’ici la fin de l’année, nous allons travailler avec les barreaux jumelés européens sur les modes alternatifs de règlement des différends. C’est essentiel. Nous apprenons de leur expérience. Le Niger vient de se doter très récemment d’un ordre des avocats, qui a une fonction beaucoup plus institutionnelle que le nôtre.
Des avocats étrangers viennent aussi se former en France, et inversement. Cette formation internationale va devenir une évidence. Le monde est devenu un village, les problèmes juridiques sont dont internationalisés. Aujourd’hui, le droit européen balaye quasiment tous les pans du droit interne. Il n’est plus possible de méconnaître le droit européen. Nous participons à la défense des individus dans les pays qui ont les plus grandes difficultés à garantir les droits de l’homme.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes avocats désireux de se lancer dans la profession ?
Qu’ils viennent nombreux ! Mais surtout pas avec une vision romantique de la profession… Les choses ne sont pas faciles, l’avocat administre d’abord son cabinet. Ce n’est pas un artiste ! Il doit faire «tourner une boutique», payer de lourdes charges et s’entourer de collaborateurs. Avoir un mode entrepreneurial de la profession, c’est aussi cela : l’avocat qui espère visser sa plaque en attendant le client est quasiment sûr de ne pas s’en sortir. Il y a des spécialités qui ne sont pas suffisamment investies par les avocats : le droit public, le droit fiscal ou le droit des affaires par exemple. On ne peut plus travailler sans projet et sans vision de l’avenir. L’avocat a un regard particulier sur le monde, mais certainement pas désincarné de la réalité.
Vincent Potié en quelques dates
− Naissance le 9 avril 1955 à Cambrai
− Scolarité à Valenciennes, maîtrise de droit et certificat d’aptitude à la profession d’avocat à Lille II
− Prestation de serment en octobre 1980
− Activités dominantes successives : droit des personnes, droit de la consommation, droit des associations, droit pénal, droit du travail, droit médical, droit de la santé
− Activités ordinales et syndicales : auparavant élu représentant des jeunes avocats au Conseil de l’ordre, président du Syndicat des avocats de France à Lille à deux reprises, vice-président du Syndicat des avocats de France national, élu par trois fois au Conseil de l’ordre, Personnalité qualifiée pour l’accès au droit au CNB
− Actuellement : enseignant en droit de la responsabilité à la Faculté libre de droit à Lille.
Propos recueillis par Marie BOULLENGER et Amandine PINOT