«Il faut être acteur du changement»

Durant le World Forum for a Responsable Economy à Lille, rendez-vous annuel de l’économie responsable, le nouveau statut d’Entreprise à mission1, adopté par la loi Pacte du 9 octobre dernier, a été commenté. Pour Blandine Stephani, le Parlement n’est pas allé assez loin. D’autres solutions sont à envisager, comme la certification B-Corp.

«On rejoint un mouvement de sociétés qui veulent véritablement changer le monde» souligne Blandine Stefani.
«On rejoint un mouvement de sociétés qui veulent véritablement changer le monde» souligne Blandine Stefani.

La Gazette Nord-Pas-de-Calais : Ce nouveau statut vous paraît-il pertinent ?

Blandine Stephani : C’est très positif que le droit français reconnaisse enfin la mission de l’entreprise. Mais il manque aujourd’hui dans la loi Pacte, un outil de mesure objectif de cette mission. Sans outil de mesure, il sera toujours difficile de juger de la sincérité de la mission de l’entreprise.

L’entreprise Danone pourrait-elle adopter ce nouveau statut ?

Pour une société cotée, c’est compliqué. La date n’est pas arrêtée mais on y travaille. Vous savez, le groupe a toujours eu une double mission. Ça a commencé dès 1973 avec son fondateur Antoine Riboud pour qui «la responsabilité de l’entreprise ne s’arrête pas aux portes de l’usine.» Son successeur Franck Riboud, en 1996, a ensuite fait évoluer les objectifs du groupe, pour répondre à des enjeux de santé. Notre dirigeant actuel, Emmanuel Faber depuis 2014, va plus loin : pour lui, il faut réinventer l’entreprise, pour répondre aux défis sociétaux et environnementaux. D’ailleurs, nous sommes engagés depuis 2016 dans le processus de certification B-Corp2 ; une démarche largement soutenue par nos actionnaires.

Quel intérêt pour vous de vous engager dans une certification B-Corp, alors que vous êtes déjà obligés de publier annuellement un rapport RSE ?

C’est d’abord un outil très rigoureux d’évaluation de la démarche sociale et environnementale d’une société, qui inclut un grand nombre de critères, fixés par des experts. C’est en fonction de la taille et de l’activité de la société. Par ailleurs, on se rend compte que démarrer cette démarche permet de transformer en profondeur l’entreprise. Ce processus nous remet en question, tout en se focalisant sur les sujets prioritaires. Enfin, cela permet de rentrer dans une communauté où l’on rencontre d’autres acteurs économiques avec la même envie.

Quel intérêt de faire partie de cette communauté ?

On rejoint un mouvement de sociétés qui veulent véritablement changer le monde. C’est très stimulant. Ça nous a permis aussi de rencontrer des fournisseurs avec le même état d’esprit, comme la TPE familiale française Squiz qui fabrique des gourdes alimentaires en plastique souple, sans aluminium et recyclables. Avec d’autres, comme Patagonia, nous avons créé une instance de conseil pour échanger sur des sujets environnementaux et sociétaux.

Comment avez-vous mis en oeuvre cette démarche de certification B-Corp ?

Aujourd’hui, 9 filiales sont certifiées, soit 30% de notre chiffre d’affaires, et 15 sont en cours de l’être. Chaque filiale doit proposer sa candidature pour démarrer. Ce n’est pas simple d’embarquer nos 100 000 salariés sur 120 pays dans ce projet. Il y a toujours des personnes pour qui le chiffre est prioritaire ; c’est dû à la pression des marchés. Il faut alors s’appuyer sur des ambassadeurs du projet, moteurs du changement, qui neutraliseront les résistants et donneront envie aux autres.

À quand une certification B-Corp pour tout le groupe ?

Nous espérons pour 2030. Mais concrètement, la certification pour un groupe – qui inclut le siège et les filiales – n’existe pas. Nous travaillons avec la structure européenne B-Corp (B-Lab), pour créer une certification à destination des multinationales.

Quel impact a déjà eu la démarche B-Corp chez Danone ?

On peut citer le travail que nous menons avec une partie de nos fournisseurs : les 150 000 fermes, dont 70% sont des familles avec moins de 10 vaches. Nous leur proposons des contrats de long terme, pour fixer des prix liés aux coûts de production et non aux marchés parfois très volatiles. Et nous aidons les agriculteurs à se positionner dans des pratiques pérennes, notamment avec une transition vers le bio et une sortie des OGM pour les américains.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Je suis très optimiste. De plus en plus, les employés et les consommateurs ont un pouvoir grandissant, une influence de plus en plus forte sur le monde économique. D’ailleurs, je suis en train de lire le livre Respect !3 qui nous livre la vision de dix chefs d’entreprises qui essayent de bouger les lignes. Si ce n’est pas nous qui bougeons maintenant, ce sera qui demain? Il faut être acteur du changement.

  1. Entreprise à mission : suite à la loi Pacte votée le 9 octobre 2018 par le Parlement, l’article 1833 du code civil est modifié pour «affirmer la nécessité pour les entreprises de prendre en considération des enjeux sociaux et environnementaux de leur activité». Et l’article 1835 permet aux entreprises qui le souhaitent, de se doter d’une raison d’être dans leurs statuts dont celui d’Entreprise à mission, de par leur impact sociétal ou environnemental positif.
  2. Certification B-Corp : certification indépendante octroyée aux sociétés commerciales répondant à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance ainsi que de transparence envers le public. On en compte 2 500 dans le monde et 600 en Europe, dont certaines filiales de Danone.
  3. Respect ! Des patrons inspirants pour un monde meilleur, d’Anne Génin et Clémence Blanc, aux éditions Flammarion, sorti en septembre 2018, dans lequel témoigne Franck Riboud, président d’honneur du groupe Danone.