Entretien
« C’est très dur d’abandonner le navire », Olivier Leprêtre, président du comité régional des pêches des Hauts-de-France
La région Hauts-de-France est le berceau du premier port de pêche français. Sur les 210 kilomètres de côtes, la filière pêche y est particulièrement dynamique. Plus de 30 000 tonnes de poissons frais sont enregistrées chaque année, pour un chiffre d’affaires dépassant les 80 millions d’euros. Zoom sur les défis que doivent relever les marins, grands acteurs économiques du territoire, avec Olivier Leprêtre, président du comité régional des pêches des Hauts-de-France.
Picardie La Gazette : Ces dernières années, nous savons que la filière halieutique a été malmenée, entre autres, par la crise sanitaire et le Brexit. À quels nouveaux défis les marins ont dû faire face en 2022 ?
Olivier Leprêtre : Cette année, nous avons dû faire face à trois grands défis. En premier lieu, le Brexit, qui est loin d’être derrière nous. Cinq bateaux de la région n’ont toujours pas obtenu leurs licences de pêche et ne peuvent pas travailler en eaux anglaises. Nous estimons que leur manque à gagner est de -40%… Ensuite, nous avons élevé la voix contre le pillage de la Manche par les Hollandais. Depuis des années, ils basent leurs techniques de pêche sur le gigantisme et à cause d’eux, le poisson se raréfie. Enfin, comme les particuliers, nous avons subi de plein fouet la hausse des prix du carburant.
L’État français a proposé aux pêcheurs, qui n’ont toujours pas obtenu leurs licences pour travailler en eaux anglaises, de leur octroyer une indemnisation en échange de leurs bateaux. Pourquoi les marins de Boulogne-sur-Mer, par exemple, ne saisissent pas cette opportunité ?
C’est très dur d’abandonner le navire. Nous continuons de croire que les derniers bateaux vont obtenir leurs licences. C’est vrai, comment les Anglais peuvent dire que certains marins n’ont jamais pêché en eaux anglaises ? Depuis Boulogne-sur-Mer, en quelques minutes, nous y sommes… Toutefois, face à cette situation, dix pêcheurs des Hauts-de-France se sont résignés et ont fait la demande de PAI. Normalement, ils vont recevoir de l’argent et leurs bateaux seront détruits.
Côté carburant, le Gouvernement français a également fait un geste envers les marins. Le secrétaire d'État chargé de la Mer a annoncé la prolongation de l'aide de 25 centimes par litre de gazole jusqu'au 1er février prochain pour les pêcheurs. C’est un soulagement ?
Bien sûr que c’est un soulagement ! Il faut avoir en tête qu’un chalutier consomme près de 10 000 litres de carburant par semaine et qu’à chaque fois que le carburant augmente, ce sont les salaires des marins qui en pâtissent. Cependant, il faut rester mesuré. Ce cadeau que nous octroie l’État n’est pas éternel. Un jour, l’aide de 25 centimes disparaîtra. Il est donc urgent de trouver une solution pérenne et la seule solution pour moi, c’est d’indexer une surtaxe carburant sur la vente du poisson. Toutefois, je tiens à alerter. Il faut que cette indexation ait lieu à l’échelle européenne et pas uniquement à l’échelle nationale, sinon nos clients vont aller chercher leurs poissons dans les pays frontaliers, là où il sera le moins cher.
Vous dites avoir élevé la voix contre les Hollandais. Pourquoi ?
Nous élevons la voix, car les Hollandais viennent piller toutes les ressources de nos fonds marins avec leurs gigantesques chalutiers. Si nous ne laissons pas se reproduire les poissons, il n’y en aura plus et puis c’est tout. Nous avons ainsi réclamé que leur technique de pêche « la senne danoise » soit réglementée. Première victoire : la Commission européenne a pris conscience du problème. Affaire à suivre…
Nous l’avons compris, vous avez déjà fait face à de nombreux défis en 2022. Quels sont les enjeux qui attendent la filière en 2023 ?
Les enjeux qui attendent la filière, vont bien au-delà de 2023. Déjà, il faudra être au rendez-vous en 2026, quand l’Union européenne va renégocier avec l’Angleterre les accords de pêche. Je suis persuadé que les politiques anglais vont vouloir durcir les conditions d’obtention des licences. Il ne faudra pas se laisser faire.
Ensuite, second rendez-vous fixé en 2030, car le Gouvernement français s’est donné de gros objectifs en termes de décarbonation. J’ai commencé à préparer les marins, mais ce n’est pas encore très concret pour notre filière. Il n’y a pas encore de bateau électrique assez puissant et peu de technologies existent pour décarboner nos navires. Nous y réfléchissons, mais cela ne va pas se faire du jour au lendemain. La filière pêche devra être soutenue.