Boris Spassky, le récit du "match du siècle"

Le joueur d'échecs russe Boris Spassky, mort jeudi à 88 ans, a marqué l'imaginaire de 50 millions de téléspectateurs lors de la finale de la Coupe du monde à l'été 1972, l'une des manches de la...

Montage photos des joueurs d'échecs américain Robert Fischer (g) et russe Boris Spassky (d) en 1972 © -
Montage photos des joueurs d'échecs américain Robert Fischer (g) et russe Boris Spassky (d) en 1972 © -

Le joueur d'échecs russe Boris Spassky, mort jeudi à 88 ans, a marqué l'imaginaire de 50 millions de téléspectateurs lors de la finale de la Coupe du monde à l'été 1972, l'une des manches de la Guerre froide se jouant alors sur un échiquier.

Pendant deux mois, le Soviétique, tenant du titre, affronte le fantasque Américain Bobby Fischer. L'AFP était présente.

Diamétralement opposés

D'un côté, Bobby Fischer, 29 ans, huit fois champion des USA. "Doté d'une énergie considérable et d'une farouche volonté de vaincre, il a remporté 101 victoires sur les 120 matches" des cinq dernières années, résume une dépêche de l'époque.

Né à Chicago en 1943, il grandit à Brooklyn. Sa sœur l'initie à six ans aux échecs. Grand Maître à quinze ans, il quitte l'école l'année suivante. Obstiné, ce "phénomène" n'a confiance qu'en lui-même.

De l'autre côté de l'échiquier, Boris Spassky, 35 ans, un "homme de caractère diamétralement opposé", champion du monde depuis 1969. Journaliste de formation, il est marié et a deux enfants.

Né à Léningrad en 1937, il est envoyé dans un orphelinat en Sibérie pendant le siège de la ville. Pur produit de l'école soviétique, il devient maître international à seize ans, champion du monde junior à dix-neuf puis Grand maître.

"Modeste, bon vivant et affable, ses adversaires vantent son calme".

- Caprices et contretemps - 

Pour la première fois depuis 1946, la finale n'est pas exclusivement soviétique. Fischer est le premier Américain à disputer le titre. Il faut trouver un terrain neutre: ce sera Reykjavik, en Islande.

Mais Fischer multiplie les caprices avant d'accepter. Il exige une rénovation complète du Palais des Sports: moquette neuve, climatisation bloquée à 22,5 degrés, isolation phonique, caméras ultra silencieuses ...

A la veille de la compétition, Fischer n'est toujours pas là. Il faut un coup de téléphone de Henry Kissinger, conseiller de Nixon, pour qu'il se décide.

"Le 4 juillet, il apparaît fatigué à sa descente d'avion". L'après-midi, il se fait représenter à la cérémonie d'ouverture. Spassky exige des excuses. La compétition démarre le 11 juillet, avec neuf jours de retard.

Le scandale du siècle

Ce 11 juillet, Boris Spassky arrive "vivement applaudi" avec vingt minutes d'avance. Face à lui, la chaise de l'Américain est d'abord vide, mais Fischer finit par arriver: "il bouscule les photographes, se précipite vers Spassky, lui serre la main" et s'installe. 

Dans la salle pleine de 2.500 spectateurs, le "match du siècle" commence enfin. 

Les deux joueurs se testent. Au bout de 28 coups, on s'attend au nul. Puis Fischer commet deux maladresses incompréhensibles. Il perd au 56ème coup.

Après cet échec, Fischer refuse public et caméra et ne se présente pas à la deuxième partie. Spassky l'emporte par forfait et prend de l'avance.

La presse dénonce le "scandale du siècle". "Après avoir réclamé la suppression des caméras, Fischer exigera, comme il l'a déjà fait, qu'on vide les premiers rangs, et il finira par demander qu'on enlève Spassky", plaisante un grand maître.

Fischer a disparu. La troisième partie est programmée deux jours après. Kissinger se fend d'un nouvel appel.

Le 16 juillet, la salle est comble mais la scène est vide: les deux adversaires jouent dans une petite salle attenante. Spassky a accepté les conditions de Fischer. Certains y voient un mauvais présage.

De fait, Spassky perd. Le quatrième match se solde par un nul, le cinquième par un abandon du Russe. Les deux hommes sont maintenant à égalité.

6e et 13e parties: matches d'anthologie

Le sixième acte est l'un des matchs les plus étudiés. Au 41ème coup, Spassky déclare forfait. 

"Je suis fier de cette partie. C'est l'une de mes meilleures", confie Fischer à l'AFP. "Lorsque Spassky s'est joint à l'assistance pour applaudir ma victoire, j'ai pensé quel gentleman".

Dès lors, Spassky ne remportera qu'un seul match, le onzième. La treizième partie, "combat des dieux de l'échiquier" se solde par l'abandon de Spassky. "Il félicite Fischer, se rassoit et médite durant six minutes, le regard perdu sur l'échiquier".

Fischer se dirige vers la victoire. Indisposé, le Soviétique demande l'ajournement de la quatorzième. Puis il enchaîne sept nuls, et se trouve en grande difficulté à la 21ème manche.

Le 1er septembre, il renonce à reprendre la partie, ajournée la veille. L'Américain, qui dort encore, devient le onzième champion du monde des échecs. C'est la fin du règne des Soviétiques.

rap/mm 

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