Environnement
Bassin Artois-Picardie : le point sur les déclinaisons territoriales du Plan eau
Fin mars, le comité du bassin Artois-Picardie et le Conseil d’administration ont tenu une séance extraordinaire suite à l’annonce du Plan eau par le Président de la République. Ses orientations ont été saluées par les membres du comité de bassin, ainsi que les moyens financiers déployés. Le point sur la déclinaison territoriale de ces mesures.
Avec une augmentation annuelle de 475 millions d’euros et la suppression du plafonds des dépenses dès 2024, les moyens des six Agences de l’eau seront rehaussés grâce aux 53 mesures du Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau, qui va dès cette année accélérer l’ensemble des actions de préservation de la ressource en eau. « En assurant la solidarité entre sous bassins et usagers, la sobriété doit être de mise dans la répartition de l’usage de l’eau, ressource qui sera plus rare sous l’effet du dérèglement climatique, notamment dans le développement économique et l'aménagement du territoire. Cette sobriété doit être engagée dès à présent, pour tous les usages et tous les acteurs, afin d’économiser la ressource et contribuer à l’objectif du plan eau d’une diminution de -10% d’eau prélevée d’ici 2030 », estime le comité.
Le comité de bassin a également permis aux acteurs de la gouvernance de l’eau en région d’aborder plusieurs autres points, dont les priorités et projets significatifs de l’État et des collectivités territoriales dans les domaines de l’eau et ses usages avec une feuille de route à trois ans, le déploiement du Fonds vert d’accélération de la transition écologique dans les territoires – plus de 7,5 millions d’euros de crédits confiés par le préfet de région Hauts-de-France à l’Agence de l’eau pour soutenir les opérations concourant à la stratégie nationale biodiversité 2030 – et la déclinaison territoriale du Plan eau.
La sobriété, axe majeur du Plan eau
« Au vu du niveau de recharge des nappes, la situation est préoccupante, voire très préoccupante dans l’Aisne et l’Oise, avec un été 2023 qui s’annonce plus compliqué a priori que celui de 2022 », rappelle Isabelle Matykowski, Directrice générale adjointe de l’Agence de l’eau Artois-Picardie, qui identifie en Picardie et plus particulièrement dans la Somme plusieurs niveaux d’enjeux : une pression forte de l’irrigation, avec un prélèvement qui a doublé ou même triplé selon les secteurs du bassin ces quatre dernières années. « L’optimisation de cette irrigation pose forcément question, relève la DGA. Le premier volet du Plan eau concerne la sobriété, avec un objectif de -10% en 2030 sur l’ensemble des territoires. Toutes les parties prenantes vont devoir jouer le jeu – les usagers, les villes, les industries, l’agriculture, etc. » avec comme objectif de s’orienter vers une irrigation plus performante pour l’agriculture, comme les rampes ou, plus efficaces, les systèmes de goutte à goutte, qui analysent précisément les besoins en eau de la plante.
« Des plans d’action vont voir le jour, pour inciter à adopter de meilleurs usages en vue de cette sobriété, qui peut aussi passer pour les industries par la réutilisation des eaux traitées et non conventionnelles, avec la récupération du pluvial ou des eaux de process, ce que fait Tereos dans la Somme avec ses eaux de lavage pour de l’irrigation », poursuit Isabelle Matykowski.
Autre piste : l’adaptation du prix de l’eau, mesure incitative déjà adoptée en région par Dunkerque et pour partie par la Métropole européenne de Lille, avec un tarif bas répondant aux besoins vitaux – alimentation et hygiène – jusqu’à un certain volume de mètres cubes, et une plus forte taxation pour des usages dits de confort.
« L’eau est en quantité finie, on sait que la situation va se tendre durant la période estivale, le but c’est de faire attention maintenant pour repousser les limites de rupture le plus loin possible et de permettre à tous de continuer à fonctionner dans une logique de solidarité », prévient Isabelle Matykowski.
Sur le bassin Artois-Picardie, le plus petit des sept bassins métropolitains (avec 20 000 km, soit 3,6% du territoire national), l’eau potable provient à 95% des captages d’eau souterraines. « Il faut permettre à ces bassines de se remplir, et donc faciliter l’infiltration de l’eau là où elle tombe. En milieu urbain, cela implique de passer par des aménagements et matériaux perméables, de renaturer les villes et villages, de mettre en place des noues, des systèmes de récupération d’eau, etc. ce qui permet en prime de rafraîchir l’air. En campagne, il faut repartir sur des pratiques agricoles permettant au sol de retenir l’eau - ou à une parcelle d’en avoir -, en replantant des haies, en se dotant d’infrastructures agroécologiques et en utilisant des techniques pour que le sol soit plus vivant, les micro-organismes permettent de retenir l’eau », détaille la DGA pour qui l’étape ultime passe par l’évolution des cultures, avec notamment des variétés moins gourmandes en eau. D’autant que les périodes de recharge des nappes diminuent : elles couraient auparavant de septembre à avril, la dernière a débuté à la mi-novembre en 2022.
Qualité
de l’eau et gouvernance
« L’autre sujet sur les captages, c’est la qualité de l’eau des aires, il faut minimiser les intrants – azote et pesticides – pour réduire les traitements curatifs, très chers, dans une logique de prévention », poursuit Isabelle Matykoswki. L’Agence de l’eau Artois-Picardie a commencé fin 2021 à se pencher sur la question via les démarches Contrats d’actions pour la ressource en eau (Care) portées par les EPCI ou les syndicats mixtes, qui ont pour but de réduire les intrants sur une durée prédéfinie, les premiers Contrats devraient être établis cette année. « C’est une démarche difficile mais indispensable, il est important de pouvoir maîtriser les pollutions sur ces captages dits ultra-prioritaires [ndlr, la région compte 60 captages, avec cinq par département définis comme ultra-prioritaires, dont 15 sur le bassin de l’Agence de l’eau Artois-Picardie] situés sur des surfaces agricoles relativement modestes, et qui concerne particulièrement la Somme et le plateau nord de l’Oise », appuie la Directrice générale adjointe.
Des
actions communes qui passent par un dialogue constructif entre les
acteurs concernés et par une gouvernance assumée : « Au
niveau des syndicats d’eau d’abord, qui doivent avoir une taille
conséquente,
reprend Isabelle Matykoswki, dans
la Somme, on dénombre plus de 160 services d’eau potable, ce qui
est énorme. Ils sont trop petits pour disposer de l’ingénierie et
de la ressource financière
nécessaires. Il
faut une taille critique suffisante pour pouvoir monter des projets.
C’est
un vrai sujet en Picardie. On
a la chance aussi
d’avoir
un territoire entièrement couvert par les
Schémas
d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage), des
sous-bassins versants,
avec l’équivalent d’un Parlement de l’eau composé de toutes
les parties prenantes, dont
les usagers et les milieux naturels. Ces comités permettent
d’établir un diagnostic par rapport à la disponibilité de la
ressource en eau, pour la partager.
»
7,5
millions d’euros alloués pour des projets liés à la biodiversité
L’Agence
de l’eau Artois-Picardie intervient également sur la mesure liée
à la biodiversité du Fonds vert (avec
une subvention allant jusqu’à 80%),
déclinée en plusieurs axes : performance environnementale
(décarbonation/ économies d’énergie), adaptation des territoires
au changement climatique (risques naturels) et amélioration du cadre
de vie (conciliation de l’activité humaine avec la conservation de
l’environnement naturel). «
Neuf millions ont été alloués à la Région pour la biodiversité,
dont 7,5 millions pour notre bassin, pour
divers types de projets : les aires protégées, les
acquisitions foncières dans
un objectif de protection de la biodiversité, la restauration
des
continuités
écologiques, des
espèces menacées,
la protection des insectes pollinisateurs ou
encore la préservation des sols forestiers.
Ce
sont des sujets nouveaux pour les Agences de l’eau,
traditionnellement
nous intervenions sur la biodiversité humide »,
explique la DGA. Les
dossiers doivent être déposés sur la plate-forme
https://www.demarches-simplifiees.fr/,
après
examen du
jury,
les projets sont validés par le préfet. « L’urgence,
c’est d’agir, partager et protéger »,
conclut Isabelle Matykowski.
Chiffres clés du bassin Artois-Picardie :
- 2 000 km² de zones à dominante humide.
- 8 000 km de cours d'eau.
- 65% du volume d’eau prélevé est destiné aux activités domestiques, 25% aux activités économiques et 10% à l’agriculture.
- 550 millions de m³ prélevés chaque année sur l’ensemble du bassin.
- Une diminution prévue de 20% sur les nappes et de 40% pour le débit des cours d’eau.