Michel Barabel, directeur de l’Executive master RH de Sciences Po Paris
«Avec la crise, les collaborateurs remettent en question leur vie et leur investissement dans l’entreprise»
2021, l'année de tous les dangers pour la fonction RH ? Éléments de réponse avec Michel Barabel, directeur de l’Executive master RH de Sciences Po Paris et auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier en date : «Les RH à l’ère de la Covid-19, les bonnes pratiques à retenir», paru aux éditions Dunod, en octobre 2020.
Quels sont les principaux impacts de la crise sur la fonction RH ?
Avant la crise de nombreux acteurs s’interrogeaient sur la fonction en la déconsidérant et en lui conférant une image souvent négative et dégradée. Elle était souvent critiquée, que ce soit côté collaborateurs, qui lui reprochaient son manque de visibilité et d’écoute, ou côté direction, qui lui opposait son côté trop administratif et pas assez orienté business. J’ai le sentiment que l’année 2020 a été une grande année qui a permis aux équipes RH d’être visibles. C’est une forme de paradoxe : il a fallu travailler à distance pour que la fonction devienne visible et montre son impact. Elle s’est retrouvée au cœur de tous les sujets liés au confinement. Les dirigeants ont découvert leurs capacités de réactivité et d’agilité, via des réponses rapides sur différents sujets comme l’organisation du télétravail, la mise en place de l’activité partielle, l’apport de réponses fiables du point de vue juridique, la gestion des risques psychosociaux, la capacité à être dans l’accompagnement des équipes.
Quel regard portez-vous sur le télétravail ?
La crise pousse à réinterroger tous les processus. Ce n’est pas une révolution, mais un amplificateur de tendances. Sur la tendance déjà préexistante du télétravail, le fait de l’avoir expérimenté à grande échelle permet de déceler les risques et les opportunités. Parmi les risques constatés, le télétravail supprime l’informel, le caractère émotionnel des rencontres, limite les opportunités professionnelles et peut engendrer des dérives, comme l’isolement ou l’hyper-connexion. Encore en phase infantile, il est important de poursuivre son expérimentation, de ne pas s’emballer sur ses effets positifs et de ne pas minimiser ses effets pervers. Selon moi, l’organisation de demain sera hybride présentiel-distanciel. Car si le télétravail est bénéfique pour travailler sur des projets en cours, il s’avère plus compliqué pour en démarrer de nouveaux ou créer une dynamique collective.
Quels sont les grands défis auxquels les RH vont devoir faire face ?
J’en compte trois. D’abord un défi de frugalité dû aux restrictions budgétaires : la fonction va devoir faire plus avec moins de budget. Et pour y parvenir se centrer sur ses besoins prioritaires et mobiliser ses ressources internes, en faisant notamment moins appel à des prestataires externes. Deuxième grand défi, celui de l’exécution et de l’agilité. Pendant la crise, la fonction a montré sa capacité à organiser rapidement le télétravail et à déployer des programmes de formation en deux semaines. Dès lors, elle devra continuer à prouver sa capacité à aller toujours plus vite. Enfin, dernier chantier de taille, celui de la formation. Elle doit déployer une «entreprise apprenante» ou un «environnement capacitant» pour renouveler en continu les compétences de chaque collaborateur dans un monde VUCA - acronyme anglais, pour volatil, incertain, complexe et ambigu - et un environnement plus que chaotique. Les principaux chantiers de 2021 seront de s’interroger sur le futur des bureaux physiques qui devront devenir des lieux de vie où l’on se retrouve pour échanger, partager des idées et des moments forts et innover, sur l’expérience à offrir aux salariés et sur une organisation du travail hybride.
Quelles sont les changements positifs que la fonction doit adopter pour l’avenir ?
Au-delà des priorités reconnues et remises au cœur des préoccupations par la crise sanitaire - préserver la santé, la sécurité, le bien-être des collaborateurs, la qualité de vie au travail et l’équilibre vie privée et professionnelle -, la fonction devra faire preuve de créativité. En 2020, tout ce qui est siloté, vertical et descendant a été mis à mal par la nécessité de devoir faire preuve d’agilité et de sérendipité. La fonction ne doit plus se sentir propriétaire de certains sujets mais coconstruire avec les autres fonctions de l’entreprise, dans une approche écosystémique. Il faut appréhender les problématiques dans leur complexité en portant un regard à 360° sur les sujets. Autre chantier, l’organisation du travail qui sera forcément plus hybride avec un véritable enjeu de «sur-humaniser» l’organisation. La fonction RH doit préserver une expérience collaborateur à fort niveau émotionnel et exceller dans ses capacités d’écoute et d’empathie. D’autant qu’avec la crise les collaborateurs sont en posture réflexive : ils remettent en question leur vie et leur investissement dans l’entreprise. Il est donc nécessaire de poser un diagnostic, redéfinir un cadre collectif et réinventer une nouvelle expérience
Propos recueillis par Charlotte de SAINTIGNON