Au procès libyen, le petit coffre plein de grosses coupures d'Eric Woerth
Pendant la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, de généreux donateurs anonymes - un, deux peut-être plus, Eric Woerth l'ignore et ne va pas "spéculer" - ont déposé à l'accueil de très grosses enveloppes de cash. C'est tout à fait inhabituel mais le trésorier ne...
![Eric Woerth au palais de justice de Paris, le 6 janvier 2025 © Dimitar DILKOFF](/thumbs/1368×1026/articles/2025/02/36XN76Y.jpg)
Pendant la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, de généreux donateurs anonymes - un, deux peut-être plus, Eric Woerth l'ignore et ne va pas "spéculer" - ont déposé à l'accueil de très grosses enveloppes de cash. C'est tout à fait inhabituel mais le trésorier ne pose pas de questions: il "stocke", dit-il au tribunal.
"J'ai été le premier étonné", certifie à la barre du tribunal correctionnel de Paris, presque désolé, le désormais député de l'Oise.
Dans ces enveloppes déposées "une dizaine de fois" au QG de campagne du candidat Sarkozy, jugé pour un présumé financement libyen de sa campagne présidentielle, Eric Woerth avait trouvé parfois jusqu'à 4 à 5.000 euros. Et "35.000" au total.
Un montant étonnant, surtout quand on sait que la somme de tous les dons officiels pour la campagne (souvent pas plus de quelques dizaines d'euros à la fois) s'étaient eux élevés à 9.800 euros.
C'est "anormalement élevé" et Eric Woerth est "intrigué", mais ne s'en inquiète pas plus que ça.
N'a-t-il vraiment aucun souvenir de la date de réception de cette première enveloppe ? Et après la deuxième, pourquoi n'a-t-il pas donné de "consigne" ? Ni tenu de "registre" ? Et qui sont ces gens qui se priveraient d'avantages fiscaux avec des dons anonymes ?
"Ca étonne", "ça questionne", répète, perplexe, la présidente du tribunal en bombardant de questions le prévenu, tout de même ex-ministre du Budget.
"Mais quelles questions je peux me poser ? Je reçois de l'argent. J'ai pas organisé un système de collecte. Y a une ou plusieurs personnes qui déposent des sommes de façon réitérée, je sais pas quoi en faire", répond le prévenu.
"Nous n'en avons absolument pas besoin, y a zéro besoin d'argent dans cette campagne", martèle Eric Woerth - comme le fanfaronne régulièrement Nicolas Sarkozy depuis le début du procès pour expliquer qu'il n'avait "aucune" raison d'aller réclamer des millions au dictateur libyen Mouammar Kadhafi.
Et donc, "à la fin de la campagne, je le donne au personnel qui a bien travaillé, comme gratification", explique M. Woerth, grande silhouette fine dans son costume noir, crâne dégarni, petites lunettes.
Quel seuil ?
Des primes en argent liquide que des salariés ont confirmé avoir reçues mais seulement à hauteur totale de 10.000 euros.
On pourrait imaginer que "dans l'esprit du donateur", c'était plutôt de l'argent destiné à la campagne Sarkozy ?, demande la présidente.
"Oui mais il choisit une manière de donner qui n'est pas légale, donc j'extraie de la campagne". "J'aurais pu le mettre dans ma poche, on serait pas là pour en parler", avance M. Woerth.
Pendant l'enquête, lui rappelle la présidente, il avait expliqué ranger l'argent dans des chemises à rabat dans un petit coffre de son bureau.
"Une ou plusieurs chemises ?", demande la présidente l'air de rien.
"Peut-être deux-trois".
Sûr ? La présidente a "regardé", et quelque "300 billets", ça fait "15 liasses"... "ça ne me semble pas représenter une quantité qui nécessite plusieurs chemises à rabats", avance-t-elle, comme pour dire qu'il y aurait pu y avoir plus.
Eric Woerth bafouille qu'il s'était peut-être trompé sur les pochettes mais pas sur le montant.
La présidente essaie encore. "Et si ça avait continué ?". A partir de "quel seuil" de dons anonymes se serait-il "inquiété" ? 50.000 ?
"Ah non là je l'aurais pas stocké, je l'aurais déclaré quelque part".
Alors "quel seuil ?", pousse la magistrate.
"J'en sais rien, j'essaie de vous relater mon état d'esprit", supplie presque Eric Woerth. "C'est arrivé au fur et à mesure dans une campagne de dingue, on l'a classé, je l'ai rendu au personnel après, voilà... je, je, je pense avoir bien fait", bafouille-t-il encore.
L'accusation, qui interroge "la crédibilité" de cette version qui "heurte le bon sens", trouve plutôt que ces grosses coupures ressemblent beaucoup à celles des "valises de cash" arrivées selon elle de Libye pour financer illégalement la campagne Sarkozy. Sans illusion sur la réponse, la présidente pose la question dans un sourire:
- En tout cas vous confirmez que les 35.000 euros ne venaient pas de la famille Kadhafi ?
- On m'a demandé d'aller en Libye pour le chercher, mais le billet d'avion était trop cher, ironise le prévenu.
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