Au procès des effondrements à Marseille, des propriétaires face à leurs responsabilités

Parmi les prévenus au procès des effondrements de la rue d'Aubagne à Marseille, qui avaient fait huit morts, des propriétaires d'appartements. Professeure, plombier ou avocat, ils...

Rassemblement en hommage des huit victimes de la rue d'Aubagne, à Marseille, le 4 novembre 2019, un an après l'effondrement de deux immeubles © GERARD JULIEN
Rassemblement en hommage des huit victimes de la rue d'Aubagne, à Marseille, le 4 novembre 2019, un an après l'effondrement de deux immeubles © GERARD JULIEN

Parmi les prévenus au procès des effondrements de la rue d'Aubagne à Marseille, qui avaient fait huit morts, des propriétaires d'appartements. Professeure, plombier ou avocat, ils nient être "des marchands de sommeil".

"Je suis victime de ce drame et j'en subis les traumatismes", a clamé à la barre Michèle B., propriétaire d'un appartement du 65 rue d'Aubagne loué à Julien Lalonde, décédé à 30 ans dans l'effondrement du 5 novembre 2018, suscitant l'indignation du procureur, Michel Sastre, qui lui a reproché son "indécence".

La septuagénaire, ancienne professeure de musique, a martelé qu'elle n'était "pas une marchande de sommeil".

Face à la mère de Julien, qui avait visité l'appartement peu de temps avant le drame, et remarqué "le mur bombé" du hall, les "fissures inquiétantes" mais aussi le "carreau de fenêtre cassé", la propriétaire assure: "Mon appartement n'était pas insalubre, il était en travaux".

C'est son fils, Alexis B., qui avait proposé cet appartement à Julien, ce jeune Franco-Péruvien rencontré sur un bateau de croisières où ils travaillaient tous deux.

Alexis B., qui passait régulièrement des soirées chez Julien, avait pu constater deux jours avant le drame, le samedi 3 novembre, "l'aggravation importante" de l'état de l'immeuble. 

Ce jour-là, pressé par d'autres locataires du bâtiment, il s'inquiète de l'état du "mur séparatif (avec l'immeuble au numéro 63, ndlr) qui ruisselle" et "des fissures importantes". 

Il assure avoir eu l'intention, "dès le lundi", d'avertir le syndic. Il n'en aura pas le temps: à 9h07 ce même lundi, l'immeuble s'effondre, emportant huit vies, dont celle de son ami Julien.

Deux étages au-dessus de chez Julien, Alexia Abed, une étudiante de 24 ans au moment des faits, louait un appartement à Sylvie C., professeure en histoire de l'art.

Liste infinie" de problèmes

Depuis février 2018, soit huit mois avant l'effondrement, elle s'était plainte de dégâts des eaux et d'une "liste infinie" de problèmes rapportés à sa propriétaire, dont l'état du mur au-dessus de son lit, "vraiment inquiétant".

Sylvie C., "très occupée" par sa carrière universitaire, se défend en expliquant avoir délégué à son compagnon les travaux dans l'appartement. 

"Pourquoi n'avoir fait venir un plombier que le 30 octobre, alors que ce problème était signalé depuis des mois?", s'est étonné le tribunal. 

"Inquiète" après une visite de la cave de l'immeuble le 25 octobre, Sylvie C. soutient pourtant au procès n'avoir jamais été consciente "d'un problème structurel" du bâtiment. "Bien sûr que ça paraissait extrêmement urgent, mais c'était inimaginable que ça s'effondre, comme ça, à ce point..."

Sa locataire Alexia Abed échappera à la mort car, fatiguée par les problèmes récurrents dans sa salle de bains, elle était allée dormir chez une amie.

"A posteriori c'est facile de dire que c'était inéluctable. Neuf experts se sont succédé aucun n'a prédit l'effondrement, comment voulez-vous que moi avocat je le voie?", s'est défendu Xavier Cachard, ex-vice président LR du conseil régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur, qui possédait un appartement dans l'immeuble et était l'avocat du syndic, le cabinet Liautard.

"Il faut arrêter de dire que cet immeuble était à l'abandon, ce n'est pas vrai", a-t-il insisté, fournissant 10 ans de factures sur les parties communes. Avant que le président ne lui rétorque: "vous êtes mal placé pour les décrire, vous n'y êtes pas allé". Une allusion au fait qu'il ait acheté cet appartement sans même le visiter.

Propriétaire de l'appartement de 27 m2 loué à Ouloume Saïd Hassani et ses deux fils, Gilbert A., plombier électricien multi-propriétaire, soutient aussi ne pas avoir pris conscience des risques: "Je pensais que des planchers pouvaient s'affaisser, mais pas ça..." Il a pourtant reconnu à la barre que l'immeuble dont il était copropriétaire était dans un état "lamentable".

En janvier 2017, alors que le plafond est imbibé d'eau et menace de tomber, ce logement est même frappé d'un arrêté de péril. 

La famille n'est pas informée, et un des fils, Imane Saïd Hassani, explique: "On nous a juste dit qu'il y avait des travaux". 

Privés de toilettes, ils sont hébergés quatre mois chez une voisine, mais Gilbert A. continue de percevoir un loyer, alors que la famille aurait dû être relogée aux frais du propriétaire.

Le jour même de l'effondrement, Ouloume était inquiète: dans les décombres sera exhumé un dossier de signalement d'habitat indigne, qu'elle avait monté auprès d'une instance départementale et pour lequel, justement, elle avait rendez-vous ce 5 novembre.

Jugé pour homicide involontaire, mise en danger d'autrui et soumission de plusieurs personnes vulnérables à des conditions d'hébergement indignes, Gilbert A. est celui qui risque le plus lourd car un enfant était dans ce logement: il encourt jusqu'à 10 ans de prison.

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