Au procès des attentats de Trèbes, les "écorchés" du Super U

Il y a Virginie de la boulangerie, André le magasinier, et Romain, le responsable épicerie à qui Christian, le boucher, avait demandé "ça va, mon poulet?" quelques minutes avant de se faire tuer... les employés du Super U de Trèbes (Aude) ont...

L'entrée de la salle d'audience à l'ouverture du procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, le 22 janvier 2024 à Paris © Bertrand GUAY
L'entrée de la salle d'audience à l'ouverture du procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, le 22 janvier 2024 à Paris © Bertrand GUAY

Il y a Virginie de la boulangerie, André le magasinier, et Romain, le responsable épicerie à qui Christian, le boucher, avait demandé "ça va, mon poulet?" quelques minutes avant de se faire tuer... les employés du Super U de Trèbes (Aude) ont relaté lundi comment ils ont vécu l'attentat en 2018.

Dans la matinée du 23 mars 2018, Radouane Lakdim, un jeune délinquant radicalisé de 25 ans, était entré dans ce petit supermarché de l'Aude, pistolet au poing. 

Céline, caissière d'aujourd'hui 37 ans, y discutait avec Christian Medves, chef-boucher du magasin depuis 15 ans.

"Faut que je t'annonce une grande nouvelle", lui dit-il. A 50 ans, Christian Medves va être grand-père pour la seconde fois mais Céline n'entendra pas la suite.

Radouane Lakdim s'est approché, "a regardé Christian (qui était) de dos, en rigolant". L'assaillant lui adresse "un grand sourire" et lui dit "c'est comme ça qu'on fait", décrit-elle dans un long sanglot. Christian Medves est tué d'une balle dans la tête, à bout portant.

Cachée sous sa caisse, elle entend à nouveau la voix de l'assaillant: "tiens, pour toi c'est gratuit", et un tir. Radouane Lakdim vient d'abattre Hervé Sosna, un client de 65 ans qui déposait ses courses sur le tapis de caisse.

"Aujourd'hui, le monde me fait peur", résume Céline, tunique à fleurs et mouchoir à la main. Elle est en pleurs, comme le seront la dizaine d'ex-employés du magasin venus témoigner avant et après elle devant la cour d'assises spéciale de Paris.

"Trèbes, c'est un village", crie presque à la barre Charlotte, 33 ans, qui travaillait elle au Drive. "On n'est pas à Lyon ou à Paris, où les gens se disent dans un coin de leur tête +il y a un risque+" d'attentat... "dans notre tête, y avait pas de place pour ça".

Elle et ses ex-collègues se sont serrés toute la journée sur trois bancs des parties civiles, à l'avant de la salle d'audience. 

Plongeons

Tour à tour ils se lèvent pour raconter le quotidien d'avant - leur ami Christian, "les clopes sur le parking", la salle de pause, les tournées de bises entre collègues dans les rayons de ce "petit supermarché" de "petit village" de 5.000 habitants, où tout le monde se connaît.

Jusqu'à ce "putain de 23 mars 2018", comme le grogne André, magasinier de 62 ans, la voix nouée par l'émotion. 

Aucun d'entre eux n'a "pris une balle", certains n'ont rien vu, juste entendu ce qu'ils ont pris pour des palettes qui "claquent" au sol. Mais tous décrivent un même traumatisme dont ils n'arrivent pas à se sortir.

"On n'en parle pas" avait prié sur une pancarte à l'entrée de son salon de coiffure la veuve de Christian, Nathalie Medves. Martine, la comptable du Super U, aurait voulu "le même panneau sur le front" ou "couper les ponts avec Trèbes", mais tous ont leur vie ici. 

Pendant des heures, chacun raconte celle d'avant, "qui n'existe plus", et celle d'après. Où l'on sursaute à chaque anniversaire à cause des bouchons de champagne, où l'on n'arrive plus à travailler, à sortir, à rien. 

"Je n'ai pas vu mes enfants grandir, je n'ai pas pu m'occuper d'eux", décrit Charlotte, du Drive. Romain, le "poulet" de Christian, décrit les mois "couché, allongé comme une loque, rongé par les calmants". 

"On s'entraîne l'un et l'autre dans nos plongeons. Quand l'un va mieux c'est l'autre qui tombe", témoignent tour à tour André et Hélène, petit couple de quinquagénaires aux cheveux courts et lunettes.

D'autres couples n'ont pas tenu, comme ceux de Martine la comptable, ou Virginie la cheffe d'équipe, qui confie dans un sourire à la cour: "je pense que mon mari est parti parce que je suis devenue trop triste".

Tous savent que "c'est long". Que "ça fait six ans", qu'"il faut passer à autre chose", comme on leur a répété. Et se raccrochent au fait qu'au moins, entre eux, ils se comprennent: "on est une famille", résume Céline. "Une famille d'écorchés c'est sûr, mais une famille". 

Ce procès de sept proches de Radouane Lakdim, qui avait tué quatre personnes dont le gendarme Arnaud Beltrame, doit s'achever le 23 février.

34H24NY