Au procès de la rue d'Aubagne, les plaidoiries ravivent l'émotion
Les noms des victimes des effondrements de la rue d'Aubagne, condamnées par "l'indifférence" et le "mépris" des propriétaires et de la mairie, sont revenus hanter le tribunal de Marseille jeudi, après des semaines de débats...
Les noms des victimes des effondrements de la rue d'Aubagne, condamnées par "l'indifférence" et le "mépris" des propriétaires et de la mairie, sont revenus hanter le tribunal de Marseille jeudi, après des semaines de débats techniques, avec les plaidoiries des parties civiles.
Simona, Fabien, Julien, Cherif, Marie, Taher, Ouloume et Pape, emportés par la chute de leur immeuble du 65, le 5 novembre 2018, c'était un "échantillon de la vie marseillaise" pour Me Céline Lendo, avocate de Maria et Domenico Carpignano, les parents de Simona, morte à 30 ans.
"Ce qui les a condamnés", a poursuivi l'avocate, "c'est l'indifférence, le mépris des propriétaires, l'incompétence d'un syndic qui minimise et se laisse bercer par des procédures interminables, les interrogations d'un expert judiciaire qui (...) continue à se demander ce que les occupants auraient pu lui apprendre, les gestionnaires de l'immeuble mitoyen qui l'ont fragilisé...".
Les parents de Simona, des Italiens de Tarente, ne ratent aucune minute d'audience depuis l'ouverture de ce grand procès du logement indigne, le 7 novembre, grâce à une traductrice. Ils sont prêts à accorder leur pardon, a plaidé l'avocate, "encore faut-il quelqu'un qui soit disposé à le recevoir".
"Bien sûr, vous n'êtes pas des assassins mais, en rejetant la faute les uns sur les autres, vous ajoutez du déni à la douleur", a lancé Me Lendo aux prévenus.
Partageant l'appartement de Simona cette nuit-là, son ami Pape Magatte Niasse a partagé son sort. Avec beaucoup d'émotion, Me Tom Bonnifay a raconté "cet homme venu de loin, le Sénégal, pour venir mourir à Marseille", lui qui avait "dit un nombre incalculable de fois à la mort de revenir demain", comme quand il avait traversé la Méditerranée en quête de l'"eldorado" français.
Maman est morte
Plaidant pour El Amine, la plus jeune des parties civiles, Me Philippe Vouland, est revenu sur le très bref témoignage de son client, âgé de huit ans au moment de l'ensevelissement de sa mère sous leur immeuble, soulignant la proximité des mots de l'adolescent avec les premières lignes de "L'étranger" d'Albert Camus.
"L'enfant, monsieur le président, vous a simplement dit +ma mère est morte+. Que pouvait-il dire d'autre. Il a dit l'essentiel".
L'avocat a ensuite dénoncé des décennies d'aveuglement de la Ville de Marseille sur l'état désastreux de l'habitat, notamment en centre-ville, pointant la "déliquescence de la municipalité, de la pensée politique, la prise en compte quasi-inexistante des quartiers les plus anciens".
"La persistance de Jean-Claude Gaudin (NDLR: l'ex-maire LR, décédé en mai) à dire sans cesse et toujours, +c'est la faute de Paris+ nous a conduits au bord de huit tombes", a accusé Me Vouland.
Avant lui, les avocats de la Ville de Marseille, Me Grégoire Ladouari et Jorge Mendes Constante, missionnés par la nouvelle majorité de Benoît Payan (gauche), ont réclamé aux prévenus un euro symbolique en réparation du préjudice moral.
Et ils ont détaillé, chiffres à l'appui, un changement radical de politique en matière de logement indigne. Sous l'ex-majorité, ont-ils expliqué, le service municipal Sécurité des immeubles comptait "quatre pauvres agents incompétents et perdus (...) Ils sont aujourd'hui 28, dont seize architectes et ingénieurs structures, pas anciens gardiens de cimetière", en référence à la profession initiale de l'agent en charge des immeubles menaçant ruine en poste avant les effondrements.
Entre deux plaidoiries, le président du tribunal a regretté l'absence d'un grand nombre des prévenus, qui "ont des choses à entendre".
Les seize prévenus sont des copropriétaires du 65 de la rue d'Aubagne, leur syndic, le bailleur social qui gérait l'immeuble mitoyen, l'expert mandaté deux semaines avant le drame et jusqu'à un ex-adjoint au maire de Marseille.
Le réquisitoire est prévu jeudi 12 décembre.
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