Au centre de rétention de migrants de Paris, tension et détresse en redoutant "l'avion"
L'enfermement "ça te monte à la tête", se désole Amadou Kann, un Guinéen sans-papiers en attente d’expulsion retenu dans le centre de rétention administrative (CRA) de Paris-Vincennes, un type de structures dont les autorités...
L'enfermement "ça te monte à la tête", se désole Amadou Kann, un Guinéen sans-papiers en attente d’expulsion retenu dans le centre de rétention administrative (CRA) de Paris-Vincennes, un type de structures dont les autorités françaises veulent doubler la capacité d'ici 2027.
En remontant à la chambre qu'il partage depuis dix jours avec quatre autres étrangers qui risquent comme lui d'expulsion, l'homme de 33 ans, sur le sol français depuis 2015, raconte sa situation au sénateur Ian Brossat, venu jeudi exercer son droit de visite parlementaire dans ce CRA, en présence de l'AFP.
Alors que d'autres retenus interpellent bruyamment le parlementaire communiste sur la saleté et les "bagarres" qui règnent dans leur centre, Amadou Kann, qui travaillait dans le bâtiment avant d'être contrôlé sans papiers, ne pense qu'à "l'avion" qui l’emmènera loin de ses espoirs de régularisation et de sa "mère qui vit ici": "C'est dur", dit-il.
Ce sont 210 hommes étrangers, en situation irrégulière pour la quasi-totalité, qui sont comme lui retenus dans ce centre de 235 places, cerné de grillages. Ils y restent en moyenne "45 jours", selon le commandant Bertrand Bordus, responsable de la structure.
Profils lourds
Peu d'activités, un espace restreint, pas de verrous dans les chambres: les retenus comme les policiers interrogés s'accordent sur les facteurs de tension dans cette structure du sud-est de Paris.
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé début octobre un objectif de porter à 3.000 d'ici 2027 (contre environ 1.850 aujourd'hui) le nombre de places dans les centres de rétention en France, avec la création de onze nouveaux sites destinés aux sans-papiers en attente de leur expulsion.
Au total, 15.922 personnes y ont été retenues l'an dernier en métropole, selon le rapport annuel des associations de défense des migrants.
L'examen au Sénat du projet de loi sur l'immigration, à partir de lundi, pourrait aussi être l'occasion d'allonger la durée maximale de placement en CRA, de trois mois actuellement pour tous, à dix-huit mois "pour les fichés S ou des personnes délinquantes".
Au CRA de Paris, dans leur petit bureau recouvert de dessins de retenus, les juristes de l'ASSFAM, association de conseil aux migrants, constatent déjà la hausse des "personnes sortant de prison" depuis des directives ministérielles, selon l'une des conseillères sous couvert d'anonymat.
Les retenus au "profils lourds", "qui ont des problèmes psychiatriques" sont également plus nombreux, assure-t-elle.
Deux tiers relâchés
En ce jour de visite du sénateur Brossat, on dénombre 33 personnes sortant de prison, sept fichées S, et "presque tous ont des TOP", des troubles à l'ordre public, pour lesquels il n'y a pas de sanction à proprement parler mais qui peuvent justifier une arrestation (ivresse publique, tapage nocturne...), énonce un policier.
Concernant les ex-détenus, "ce sont des personnes qui ont déjà purgé leur peine en France, donc qui méritent une deuxième chance, qui ont le droit de pouvoir déposer une demande de titre de séjour", estime une autre juriste de l'ASSFAM.
En sortant du préau grillagé où des hommes lui crient qu'ils souffrent de la gale et miment leur pendaison pour exprimer leur détresse, Ian Brossat s'interroge sur "l'essence de cette politique publique" des CRA, "dès lors que deux tiers d'entre eux, dans un centre comme celui-ci, finissent par être relâchés".
Seuls 35% des retenus de ce centre sont effectivement expulsés, selon le chiffre donné par le responsable du CRA de Vincennes au sénateur.
Cela pose "la question de la réinsertion, or les CRA n'ont pas du tout été conçus pour ça", ajoute le parlementaire pour qui, en l'état, cela n'aurait "aucun sens d'en doubler le nombre".
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