Au Brésil, l'avenir de l'épandage aérien de pesticides en question

Le premier consommateur mondial de pesticides est-il prêt à modérer sa pratique? Le débat monte au Brésil autour de l'épandage aérien de ces produits, de plus en plus...

Graphique montrant la répartition de la consommation de pesticides pour un usage agricole par pays © Laurence SAUBADU
Graphique montrant la répartition de la consommation de pesticides pour un usage agricole par pays © Laurence SAUBADU

Le premier consommateur mondial de pesticides est-il prêt à modérer sa pratique? Le débat monte au Brésil autour de l'épandage aérien de ces produits, de plus en plus critiqués au nom de la santé publique.

La Cour suprême brésilienne a donné gain de cause aux pourfendeurs de l'épandage aérien, en validant fin mai une loi de l'Etat du Ceara (nord-est) qui bannit cet usage depuis 2019. Des mesures similaires sont en discussion désormais dans d'autres Etats du Brésil.

Un coup de tonnerre étant donné que le Brésil, géant agricole d'envergure mondiale, a consommé 719.507 tonnes de pesticides en 2021, soit 20% du total commercialisé dans le monde, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture.

Moteur de l'économie brésilienne, l'agro-négoce suit un modèle productiviste dont l'un des piliers est l'usage intensif, notamment par voie aérienne, de pesticides – que les acteurs locaux du secteur préfèrent appeler "produits phytosanitaires" ou "défensifs agricoles".

La question n'a jamais paru aussi sensible: l'usage massif de pesticides par les producteurs brésiliens est l'un des arguments brandis par ceux qui, en Europe, s'opposent à un accord de libre-échange entre Union européenne et Mercosur, dont le Brésil est le poids lourd.

Risque de dérive

Le débat fait notamment rage dans l'Etat de Sao Paulo (sud-est), deuxième région brésilienne la plus consommatrice de "produits phytosanitaires", où la culture de canne à sucre occupe environ 30% des terres agricoles.

Le procureur Gabriel Lino de Paula Pires enquête sur des plaintes dans la région du Pontal do Paranapanema, dans l'ouest de l'Etat.

"Ici, en 20 ans, cette monoculture s'est étendue de manière significative, atteignant la bordure de communautés paysannes", explique-t-il à l'AFP.

Or, de petits producteurs ruraux dénoncent les effets de l'application aérienne de pesticides dans les champs de canne à sucre environnants.

"Quand les avions survolent nos habitations, nous en ressentons les effets sur notre santé, les yeux piquent, la peau est irritée, nous toussons...", raconte Diogenes Rabello, leader local de l'organisation paysanne Mouvement des sans-terre (MST).

La loi interdit les épandages aériens à moins de 500 mètres des villes et villages et à moins de 250 mètres des sources d'eau. Mais, selon M. Pires, vu les conditions météorologiques dans la région, il n'est "pas possible d'y appliquer des pesticides par avion en toute sécurité".

Pourtant, Fabio Kagi, un responsable du syndicat de l'industrie brésilienne des produits de défense végétale (Sindiveg), observe que "parmi les méthodes de pulvérisation, la méthode aérienne est la plus réglementée".

Pour le secteur, cette technique, plus rapide que l'épandage au sol, se justifie dans des exploitations souvent immenses, pour des cultures difficilement accessibles par voie terrestre ou que les tracteurs risqueraient d'aplatir.

Entre autres obligations, les pilotes doivent avoir des licences spécifiques et un ingénieur agronome doit être présent, souligne-t-il. Mais pour le procureur Pires, le contrôle par les autorités publiques est "défaillant". 

Interdits dans l'UE

Une autre source de préoccupation concerne le type de pesticides pulvérisés. 

Une étude de l'Université fédérale de Santa Catarina sur l'épandage aérien dans les plantations de canne à sucre de cinq régions de Sao Paulo révèle que 30% des produits phytosanitaires appliqués en 2019 contenaient des principes actifs potentiellement cancérigènes et pointe une corrélation possible avec l'incidence de cancers dans ces zones, supérieure à la moyenne nationale.

Selon cette étude, 40% des pesticides appliqués par avion contenaient des principes actifs bannis ou non homologués dans l'UE.

Des rapports obtenus auprès des autorités par le bureau du Défenseur public de Sao Paulo (organe qui porte assistance juridique aux démunis), indiquent par exemple que Tereos Açucar & Energia Brasil, filiale brésilienne du groupe coopératif sucrier français Tereos, a fait épandre en 2020 de l'Actara 750 SG, un insecticide à base de thiaméthoxame commercialisé par la multinationale Syngenta.

Ce principe actif, banni dans l'UE depuis 2019, y est classé comme "très toxique pour la vie aquatique" et "susceptible de nuire à la fertilité et à l'enfant à naître".

Les entreprises sucrières brésiliennes Sao Martinho et Usina Pitangueiras ont quant à elles fait pulvériser du fongicide Opera, produit par le groupe allemand BASF, selon d'autres rapports analysés par le Défenseur public. Considéré comme un "perturbateur endocrinien" et un "cancérogène suspecté" par l'Agence française de sécurité sanitaire, son principe actif, l'époxiconazole, n'est plus autorisé dans l'UE.

Contacté par l'AFP, Tereos dit utiliser des produits "autorisés par les autorités brésiliennes" et respecter "consciencieusement toutes les recommandations d'application définies par celles-ci". Quant à Sao Martinho, le groupe assure que ses épandages aériens suivent les "réglementations et directives des autorités compétentes" et les "recommandations de la notice". Usina Pitangueiras n'a pas répondu à l'AFP.

D'après les estimations du Syndicat brésilien des entreprises d'aviation agricole, l'épandage aérien concerne entre 25% et 30% des pulvérisations de pesticides dans le pays, qui dispose de la deuxième plus grande flotte mondiale, derrière les Etats-Unis. La législation européenne interdit depuis 2009 ce mode de dispersion, "susceptible d'avoir des effets néfastes importants sur la santé humaine et l'environnement".

En dépit des critiques, un projet de loi est actuellement examiné par les parlementaires à Brasilia pour faciliter l'homologation des pesticides. 

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