Attentat de Strasbourg: le huis clos terrifiant d'un chauffeur de taxi
"Ma dernière course, c'était le 11 décembre 2018": ce jour-là, Mostafa Salhane est pris en otage par Chérif Chekatt qui vient de tuer cinq personnes et d'en blesser 11 autres à Strasbourg. Depuis, ce chauffeur de...
"Ma dernière course, c'était le 11 décembre 2018": ce jour-là, Mostafa Salhane est pris en otage par Chérif Chekatt qui vient de tuer cinq personnes et d'en blesser 11 autres à Strasbourg. Depuis, ce chauffeur de taxi a "tout perdu", raconte-t-il à l'AFP.
Cet Alsacien de 53 ans, aujourd'hui président de l'association de victimes AVA, attend avec impatience le procès qui doit débuter le 29 février à Paris et se replonger dans l'attentat commis en plein marché de Noël à Strasbourg.
Même si le principal protagoniste ne répondra pas de ses actes, tué par les forces de l'ordre après 48 heures de traque.
Pour Mostafa Salhane, tout bascule ce 11 décembre à 19h58, lorsque Chérif Chekatt monte dans son taxi.
Débute un huis clos terrifiant avec un jeune homme surexcité et armé, un face-à-face qu'il raconte dans un livre, "15 minutes pour sauver ma vie", écrit avec le journaliste Frédéric Ploquin.
"Ce soir-là, je ne devais pas travailler, finalement j'ai décidé d'y aller et ça tombe sur moi", retrace Mostafa Salhane. Chauffeur de taxi à mi-temps, il vient de déposer des eurodéputés italiens dans le quartier touristique de la Petite France lorsqu'il croise le "regard noir" d'un homme de 29 ans.
Celui-ci s'engouffre dans le véhicule et "m'ordonne de partir". Commence une conversation tendue. Le passager transpire, exhibe une arme à feu et prévient le chauffeur: "si tu fais le malin, je t'allume".
Le "prix fort
Il l'informe qu'il a tué "dix personnes" (en réalité cinq) et lui hurle dessus.
"Son but, c'est d'aller au commissariat et de +finir le travail+", comprendre: tuer des policiers, explique Mostafa Salhane. Ce dernier, ancien karatéka et ex-agent de sécurité, garde son sang froid et tente de l'amadouer.
Il explique qu'il est musulman et prononce quelques mots en arabe. Il lui répète: "Je ne te juge pas, c'est entre toi et Dieu", raconte-t-il dans son livre.
Voyant son passager blessé - il a été touché par un tir de militaires - le chauffeur de taxi le convainc de s'arrêter pour le soigner.
Les deux hommes sortent. Tandis que Chérif Chekatt prend de l'eau et des mouchoirs, Mostafa Salhane profite d'un "moment d'inattention", remonte dans le taxi et démarre en trombe. Quelques secondes plus tard, il est au commissariat pour donner l'alerte.
Le preneur d'otage lui avait confié que les gendarmes avaient perquisitionné chez lui le matin même: en livrant cette information-clé, Mostafa Salhane permet aux forces de l'ordre de l'identifier.
Le chauffeur de taxi quitte finalement le commissariat à 04H00 du matin, éprouvé par la prise d'otage et les heures de questions des policiers, sa chemise encore souillée du sang de l'assaillant. Indemne mais meurtri psychologiquement.
"J'en paye encore le prix fort aujourd'hui", commente le quadragénaire, en arrêt maladie depuis cinq ans.
Mort-vivant
"Je suis devenu un mort-vivant. Je tourne en rond à la maison, je prends des médicaments pour dormir et le matin il me faut deux heures pour me réveiller", témoigne cet homme à la carrure imposante et au crâne chauve.
"J'ai tout perdu: le taxi, la maison, mon commerce. J'ai des enfants qui sont partis parce qu'ils ne comprenaient plus leur père", égrène M. Salhane, qui vendait des épices avec sa fille.
Au stress post-traumatique, à la dépression et aux cauchemars s'ajoute un sentiment de culpabilité: "Même si j'en ai fait beaucoup, pour moi je n'en ai pas fait assez, j'aurais dû le maîtriser".
Terrifié à l'idée que Chérif Chekatt continue son périple meurtrier après qu'il l'a laissé en pleine rue, Mostafa Salhane confie qu'il "n'a pas dormi" jusqu'à sa "neutralisation".
A quelques semaines du procès, il a le sentiment que l'attentat de Strasbourg a été "oublié". Et regrette un manque de reconnaissance: "Je n'ai pas été décoré de la légion d'honneur ou de l'ordre du mérite, pas eu un mot, un coup de fil du président de la République. Pourtant j'ai sauvé des vies".
Aujourd'hui, il s'investit dans la défense des victimes à travers son association, qui compte 65 membres.
"Ma vie a été détruite, j'ai accepté la sentence mais je me relève, je me bats".
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