Entreprises
Approvisionnements : les entreprises en proie à la tourmente géopolitique
Les troubles géopolitiques figurent en tête des risques redoutés par les entreprises, en matière de supply chain. Mais les sociétés s'inquiètent aussi des hausses des prix et des défaillances d'entreprises, d'après le baromètre KYU.
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La hausse est spectaculaire : en 2024, 41% des entreprises ont placé les troubles géopolitiques en tête des risques redoutés en matière de supply chain, contre 19% l'année précédente. C'est l'un des résultats de la 6ème édition du baromètre des risques de la supply chain, du cabinet spécialisé KYU. L'étude, réalisée auprès des responsables supply chain, achats et risques de grandes sociétés a été présentée le 27 janvier, lors d'une conférence en ligne, à Paris. Ses résultats, très différents de ceux de l'édition 2024, en disent long sur la brutalité des évolutions du contexte dans lequel évoluent les entreprises. « Pendant 20-30 ans, la géopolitique était assez absente de l'économie. Depuis trois ou quatre ans, on constate une inflation des réglementations, lois, augmentations de tarifs douaniers (…) Ils sont devenus un moyen de pression au service des ambitions géostratégiques des États. Cela préfigure une nouvelle ère », constate Laurent Giordani, associé du cabinet KYU. Selon l'étude, la partition du monde en blocs concurrents qui se dessine, reconfigurant les échanges commerciaux, rend inadaptée la supply chain des entreprises. En effet, elle a été élaborée dans un contexte de fluidité des échanges internationaux qui consentaient d'acheter facilement et à bas coût à des fournisseurs situés dans des pays lointains. Mais outre celui géopolitique, d'autres risques inquiètent de plus en plus les entreprises : 14% des sondés citent celui de la faillite des fournisseurs, contre 0% en 2024. La non-conformité au critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) préoccupe aussi davantage ( 8%, contre 3%), ainsi que les risques climatiques ( 7%, vs 3%).
A contrario, certains risques apparaissent comme moins – voire beaucoup moins – prégnants. C'est le cas de la hausse des coûts cité par 27% des sondés, contre 32% en l’an passé. Et aussi, du risque de la volatilité de la demande, qui a fortement chuté ( 19% en 2025, contre 44% l'an dernier). La pénurie de produits n'inquiète plus que 8% des sondés vs 29% en 2024. Quant au manque de main d’œuvre, seules 7% des entreprises citent le sujet contre 18% l'an dernier. Les inquiétudes vis-à-vis des risques de cyberattaque demeurent stables (17%, contre 16%).
La traîne de la géopolitique
Identifiées comme un risque en soi, les turbulences géopolitiques peuvent contribuer – au moins pour partie - à nourrir d'autres risques mentionnés dans le Top 10 du baromètre KYU. C'est en particulier le cas de la hausse des coûts, signalée comme le deuxième risque le plus inquiétant. En effet, si l'inflation pourrait croître en 2025 dans le monde, c'est au moins en partie lié à « l’application des mesures protectionnistes du programme de Donald Trump et les mesures de rétorsion qui s’en suivraient », d'après l'étude. Mais un autre risque est au moins partiellement généré par les tensions géopolitiques : les cyberattaques, devenues un outil de déstabilisation utilisé par les Etats. Par exemple, en 2024, les pirates de Salt Typhoon, groupe de hackers parrainé par l'État chinois, ont ciblé d'importantes entreprises de télécommunications américaines, rappelle l'étude.
Autre risque encore qui peut être corrélé aux tensions géopolitiques, la pénurie de produits. Elle peut constituer un outil de pression entre Etats. Par exemple, si les sanctions envers la Russie venaient à se renforcer, certains matériaux, comme le titane, indispensable pour des secteurs comme l'aéronautique, pourraient venir à manquer. Autre exemple : des tensions entre Union Européenne et Chine pourraient causer des pénuries de métaux rares : la Chine a mis en place une politique de mainmise sur ces matières premières. Dont le lithium, indispensable aux batteries électriques.
Jusqu'où vont les manipulations ?
Les entreprises ont aussi désigné comme toujours plus inquiétants des risques qui semblent moins directement corrélés au contexte géopolitique. C'est en particulier le cas de la non- conformité aux exigences ESG. Pourtant, actuellement, ces critères semblent de plus en plus remis en cause aux États-Unis, et même dans l'UE. Le « Green deal » y est de plus en plus contesté, ainsi que les exigences en matière de vigilance sur l'éthique des sous-traitants. A contrario, le 29 janvier, la Commission européenne a présenté une « boussole pour la compétitivité », destinée à redresser l'économie en libérant les entreprises de contraintes. Pourtant, « le risque de controverses dans lesquelles des entreprises peuvent être embarquées du fait de supply non maîtrisé demeure. (…) Notre conviction est que l'on ne reviendra pas complètement en arrière, parce que cela va dans le sens de l'histoire », estime Laurent Giordani . Ainsi, en 2024, « les cas d’allégations envers les entreprises se sont multipliés », note le rapport KYU, citant divers exemples. En Italie, d'importantes marques de luxe ont été pointées du doigt pour leur insuffisance en matière de contrôle des conditions de travail et des droits humains chez des sous-traitants.
Reste que les activistes environnementaux ou des droits de l'homme ne sont pas les seuls à se mobiliser et à sanctionner. En novembre 2024, l’État américain a interdit l'importation de produits provenant de plus d'une trentaine d'entreprises chinoises accusées de fonctionner avec le travail forcé des Ouïghours. Coercition économique et intimidation ? C'est ainsi que la Chine a qualifié ces mesures pour les dénoncer. Quel que soit le fond de l'affaire, les tensions géopolitiques n'en sont pas absentes. Quant au risque de faillites de fournisseurs redouté par 14% des entreprises, il est aussi le fruit d'une économie chahuté par des perturbations géopolitiques...