Apport à une holding avant cession : le spectre de l'abus de droit se materialise
Par une série d’arrêts récents, le Conseil d’Etat vient de fermer la porte à une technique d’optimisation patrimoniale liée aux cessions d’entreprise, technique consistant à apporter les titres à une société soumise à l’IS peu de temps avant leur cession.
En effet, en cas d’apport en nature, et bien que cette opération soit assimilée fiscalement à une cession, le législateur n’avait pas souhaité créer un problème de liquidités à l’apporteur en taxant immédiatement la plus-value, alors qu’il ne reçoit que des titres en contrepartie de son apport. C’est pourquoi il avait institué un mécanisme de taxation différée de l’imposition des plus-values, jusqu’à la date de cession des titres reçus en contrepartie de l’échange.
Entre 1993 et 1999, ce régime était un régime de report d’imposition, la plus-value étant constatée lors de l’apport, et sa taxation reportée, sur demande du contribuable, à la date de cession des titres échangés. Le taux de taxation applicable était celui en vigueur au moment de la cession des titres échangés. Enfin, le contribuable devait chaque année remplir un imprimé fiscal spécifique, individualisant la plus-value maintenue en report d’imposition.
A partir du 1/1/2000, ce mécanisme de report a été remplacé par un mécanisme de sursis d’imposition, plus simple. L’apport à la nouvelle structure ne donne lieu à aucun calcul de plus-value intermédiaire. L’opération a le caractère d’une opération intercalaire, le prix de revient fiscal des titres apportés devenant le prix de revient des titres reçus en contrepartie de l’échange. En revanche, au niveau de la société bénéficiaire de l’apport, les titres apportés sont inscrits au bilan pour leur valeur réévaluée.
Du fait de cette caractéristique, un certain nombre de praticiens imaginatifs avaient mis en place un schéma d’optimisation assez simple.
Lorsqu’un dirigeant allait céder son entreprise, et que la cession allait générer une taxation conséquente au titre de la plus-value, il procédait au préalable à un apport de ses titres à une structure à l’IS. Conformément à la règlementation, la plus-value d’apport n’était pas taxée. En revanche, les titres apportés étant inscrits au bilan de la société nouvelle pour leur valeur réévaluée, leur revente immédiate par la structure holding au tiers repreneur ne donnait lieu à aucune taxation.
En apparence, la stratégie d’optimisation semblait fiable. En effet, la taxation de la plus-value ne se trouvait pas escamotée par l’opération en cause, mais seulement différée.
L’administration fiscale a rapidement pris conscience du phénomène d’apport/report puis d’apport/sursis, et du grave manque à gagner qui en résultait pour les finances publiques. Elle a donc mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit, dont les conséquences sont un rétablissement de la taxation initialement éludée, plus une majoration du fait d’intérêts de retard, auxquels s’ajoute une pénalité égale à 80 % du montant des droits éludés.
En deux temps, le Conseil d’Etat a avalisé l’argumentation de l’administration, d’abord lorsque la plus-value était placée sous le régime du report d’imposition (CE, 8/10/2010, 3 arrêts Bazire, Bauchard, Flour), puis tout récemment, en cas d’apport bénéficiant du sursis d’imposition (CE, 27/7/2012, n° 327295, B.).
Tout espoir d’optimisation est-il donc perdu ? Non. D’abord, l’opération d’apport ne présente pas de risque si une part significative des capitaux reçus par la holding est réinvestie dans une activité économique autre que la gestion du patrimoine de l’apporteur. Par prudence, il est préférable que le réinvestissement économique représente plus de la moitié des réinvestissements de la holding.
Une deuxième stratégie consiste, très en amont de la cession à un tiers, à créer une holding par apport des titres, et à faire de cette société une holding ayant une activité réelle, voire une holding animatrice. Lorsque les titres seront cédés, il sera difficile pour l’administration d’affirmer que l’apport n’a eu qu’une optique exclusivement fiscale. Plus le délai entre l’apport des titres et leur cession sera large, plus la sécurité juridique sera grande. De surcroît, si entre la date de l’apport et la date de cession, les titres de la filiale se revalorisent fortement, la holding peut bénéficier de l’exonération de la taxation de la plus-value des titres de participation, à l’exception d’une quote-part de frais et charges de 10 %.