Action publique : ce qui va changer avec la future loi ASAP
Adopté début mars par le Sénat puis passablement modifié par l’Assemblée nationale début octobre, le projet de loi «Accélération et simplification de l’action publique» (ASAP) arrive en commission mixte paritaire chargée de trouver un terrain d’entente entre les deux chambres. Trois axes de changements sont opérés dans ce texte qui couvre de nombreuses thématiques. L’actualité économique a motivé le gouvernement à y insérer de nombreuses dispositions en cours d’examen.
Suppression de commissions
La phrase de Clémenceau est connue : «Si vous souhaitez enterrer un problème, nommez une commission.» C’est ainsi que de nombreuses commissions aux noms flous et aux fonctions parfois obscures ont fleuri au fil des ans. Le gouvernement entend supprimer ou fusionner près de 80 de ces «comités Théodule», dont les missions ont déjà été attribuées à d’autres organes ou qui ne se réunissent plus depuis plusieurs années. La majorité des instances dans la ligne de mire de l’exécutif sera supprimée par simple décret. En revanche, pour les commissions créées par une loi, le gouvernement est dans l’obligation de passer par le Parlement. Ainsi, sont appelées à disparaître, par exemple, la commission consultative paritaire nationale des baux ruraux, la commission centrale des évaluations foncières, le comité central du lait, l’observatoire de la récidive, ou encore le Conseil supérieur de la mutualité. Le gouvernement table sur une économie d’environ 20 millions d’euros par an.
Déconcentration de la prise de décisions
Le projet de loi ambitionne aussi de développer une administration «plus proche des citoyens» selon la formule consacrée. Le Gouvernement juge, en effet, que de trop nombreuses décisions administratives sont prises au niveau ministériel, traduisant à l’évidence un vieux réflexe jacobin. L’exposé des motifs traduit cette ambition : «près de 99 % des décisions administratives individuelles seront prises, avant juin 2020, au niveau déconcentré, au plus proche des citoyens.» Le projet de loi vise, notamment, trois domaines dans lesquels les ministres perdront de leurs compétences : la culture, l’économie et la santé. Pour le domaine culturel, le texte cible par exemple, les autorisations d’élimination des archives privées classées comme archives historiques, les décisions de reconnaissance des établissements dispensant des enseignements artistiques ou encore les autorisations de démolition ou de désaffectation des salles de spectacles… Pour la majorité de ces décisions, l’autorité compétente sera alors vraisemblablement le Directeur régional des Affaires culturelles (DRAC), placé auprès du préfet. Dans le domaine économique, le projet de loi prévoit de déconcentrer la prise des décisions d’interdictions de divulgation et de libre exploitation des brevets d’invention. Cette compétence sera désormais dévolue au directeur de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). Enfin, concernant la santé, le texte prévoit de déconcentrer la prise des décisions d’agrément des laboratoires pour la réalisation des prélèvements et analyses du contrôle sanitaire des eaux, des décisions autorisant l’utilisation de certains additifs pour l’alimentation animale ou encore des déclarations d’intérêt public d’une source d’eau minérale. Ces transferts de compétences s’opèrent au profit des différentes agences nationales spécialisées dans le domaine de la santé (ANSES, ANSM). À la lecture de ces dispositions, on objectera que les préfets et directeur d’administrations déconcentrées sont soumis aux devoirs d’obéissance, de neutralité, de réserve et de loyauté envers leur supérieur direct, c’est-à-dire, leur ministre de tutelle. Ainsi, il est permis de douter de leur capacité à rapprocher réellement l’administration des citoyens.
Simplification de certaines démarches administratives
Le titre IV du projet de loi vise quant à lui, à rendre certaines démarches administratives plus efficaces et plus rapides. Les particuliers n’auront plus à justifier de leur domiciliation pour l’obtention d’une carte d’identité, d’un passeport, d’un permis de conduire ou d’un certificat d’immatriculation. L’administration demandera elle-même cette justification auprès d’un fournisseur de biens ou de services (électricité, gaz, etc.) ou d’un autre service public. Ou encore, la présentation d’un certificat médical ne sera plus exigée pour s’inscrire à une activité sportive ; il sera remplacé par une déclaration parentale, sauf pour les sports à risques. Le gouvernement procède également à une modernisation du système d’attribution des places pour l’examen du permis de conduire. L’ouverture d’un livret d’épargne populaire sera aussi facilitée (suppression de l’obligation de présenter son avis d’imposition). Autre sujet, la procédure d’expulsion des squatteurs, problème qui a défrayé la chronique cet été, a été légèrement remaniée. La notion de «domicile» a été élargie aux résidences secondaires, et la saisine du préfet étendue à toute personne dont le domicile est occupé, ainsi qu’à ses proches. Pour les entreprises, le gouvernement souhaite que les porteurs de projets industriels soient soumis, en cas de changement de la réglementation (notamment, environnementale) en cours d’instruction de leurs dossiers, à la réglementation antérieure.
Les marchés publics et le droit de l’environnement révisés
Pour relancer une économie en berne, les règles de la commande publique ont une fois de plus étés assouplies. Un régime de «circonstances exceptionnelles» qui peut être activé par simple décret a été créé. La passation dérogatoire de certains marchés a été simplifiée : «l’intérêt général», notion floue qui devra être précisée par décret, ne devient pourtant rien de moins qu’un motif de recours à un marché passé sans publicité ni mise en concurrence préalable. De plus, jusqu’à fin 2022, le seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion des marchés publics de travaux devrait être relevé à 100 000 euros. Enfin, plusieurs modifications ont été apportées au droit de l’environnement. Adopté dans des circonstances rocambolesques, un amendement du gouvernement voté en dernière minute, prévoit que, pour certains projets soumis à procédure d’autorisation, mais non soumis à évaluation environnementale, le préfet va pouvoir choisir entre une consultation du public en ligne ou une enquête publique. De plus, les préfets pourront dorénavant fixer un délai contraignant aux opérations de réhabilitation et de remise en état des friches industrielles, ayant accueilli des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Si les administrations apprécient sans doute toutes ces mesures de «simplification», le texte soulève toutefois une fronde chez les associations de défense de l’environnement et de lutte contre la corruption qui y voient plutôt le signe d’une «dérégulation».
Nicolas TAQUET, juriste