Accord UE-Mercosur : les craintes françaises sur fond de divisions européennes

L’accord de libre-échange entre l’UE et les pays sud-américains du Mercosur provoque en France l’ire des agriculteurs et des politiques de tous bords, qui y voient une menace pour la qualité des produits et la survie des exploitations. Éclairage.

©MMollaretti
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L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur représente un chiffon rouge agité devant les agriculteurs français, qui ont appelé à poursuivre la mobilisation pour empêcher sa signature, craignant une concurrence déloyale. La perspective de futures élections et la peur d’une agitation sociale d’ampleur semblent, par ailleurs, avoir convaincu les politiques de tous bords en France de se positionner contre cet accord commercial, que la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, souhaiterait pourtant conclure avant la fin de l’année.

25 ans d’interminables débats

En débat depuis un quart de siècle, l’accord de libre-échange entre l’UE et les pays sud-américains du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie) n’en finit pas de changer de périmètre au gré des négociations. En tout état de cause, il se veut le pilier commercial — signé une première fois en 2019 — d’un accord plus large d’association prévoyant un dialogue politique et la coopération entre l’UE et le Mercosur, ce dernier représentant 80 % du PIB de l’Amérique du Sud pour près de 800 millions d’habitants. Mais c’est peu dire que si les volets «dialogue» et «coopération» ne mangent pas de pain, le volet commercial est quant à lui source de grandes inquiétudes.

Cet accord prévoit, en effet, une réduction draconienne des barrières tarifaires, afin de soutenir les échanges commerciaux entre les deux régions dans plusieurs secteurs : agriculture, automobile, chimie, pharmacie, textile et services. Il est question de 40 et 45 milliards d’euros d’importations et exportations, ce qui explique l’empressement de l’Allemagne à vouloir conclure au plus vite cet accord, son industrie automobile subissant une grave crise, aggravée par le protectionnisme à peine voilé de la Chine et des États-Unis. En retour, les pays du Mercosur pourront exporter leurs viandes bovines, leurs volailles et céréales avec des droits de douane bien plus faibles qu’actuellement, ce qui inquiète les agriculteurs français, déjà passablement échaudés par les importations à bas prix des produits agricoles ukrainiens.

Apaiser la colère

Pour les rassurer, la Commission européenne affirme qu’en contrepartie, les Européens pourront exporter plus facilement leurs produits laitiers, vins et spiritueux, avec une garantie sur les indications géographiques protégées. Des clauses miroirs devraient par ailleurs être inscrites dans l’accord, afin d’imposer une forme de réciprocité dans les normes sanitaires, sociales et environnementales de production, devant permettre une concurrence plus équitable.

Mais loin d’apaiser la colère, ces clauses miroirs sont perçues en France, par de nombreux agriculteurs, politiques ou défenseurs de l’environnement, comme des moyens inefficaces de garantir l’absence de pesticides et d’hormones dans les produits exportés par des exploitations agricoles géantes, avec un prix de la main-d’œuvre très bas. Il est vrai que le protocole annexe voulu par l’UE, en 2023, qui contenait de nouvelles exigences environnementales et commerciales comme la lutte contre la déforestation ou la protection des marchés agricoles européens, avait été refusé par les deux poids lourds que sont l’Argentine et le Brésil. La protection de l’environnement et du climat ne sera donc certainement pas des éléments clés de l’accord final…

Des gains nets à l’échange difficilement chiffrables

De plus, il est très difficile de connaître à l’avance le bénéfice global net d’un tel accord, entre redistribution des richesses produites, faillites dans les secteurs fortement concurrencés et gains liés aux nouveaux débouchés. La Commission européenne l’a bien compris, mais à défaut d’accords commerciaux multilatéraux — chimère poursuivie par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis un demi-siècle —, son tropisme en faveur du libre-échange l’a conduite à poursuivre dans la voie des accords commerciaux régionaux tous azimuts, au prix d’une complexification des règles de commerce avec l’UE et d’un mécontentement croissant des uns et des autres.

Pendant ce temps, les États-Unis n’hésitent plus à prôner ouvertement le protectionnisme. Janet Yellen, secrétaire du Trésor en 2022, avait ainsi qualifié de « friend-shoring » la nouvelle stratégie commerciale de l’administration Biden, qui consiste à faire produire aux États-Unis ou, à défaut, à relocaliser dans des pays alignés sur les règles américaines. De ce point de vue, Biden et Trump partagent des vues proches…

Quoi qu’il en soit, sur cet accord avec le Mercosur, l’UE est comme à son habitude divisée. Même le mal-nommé couple franco-allemand se déchire sur la question. Dans ces conditions, Ursula Von der Leyen pourrait être tentée de contourner les parlements nationaux en scindant les volets « commerce » et « politique », ce qui permettrait une prise de décision à la majorité qualifiée d’au moins 15 États sur les 27, pour peu qu’ils représentent 65 % de la population de l’UE.

Un coup de force européen qui jetterait de l’huile sur le feu social en France !