A Strasbourg, 12 ans de veille pour la libération du leader kurde Öcalan

Ils sont là par tous les temps, en toutes circonstances: depuis 12 ans, des membres de la communauté kurde se relaient devant le Conseil de l'Europe pour réclamer la libération de leur...

Des membres de la communauté kurde se relaient devant le Conseil de l'Europe pour réclamer la libération de leur chef historique, Abdullah Öcalan, emprisonné en Turquie, le 13 février 2024 à Strasbourg © FREDERICK FLORIN
Des membres de la communauté kurde se relaient devant le Conseil de l'Europe pour réclamer la libération de leur chef historique, Abdullah Öcalan, emprisonné en Turquie, le 13 février 2024 à Strasbourg © FREDERICK FLORIN

Ils sont là par tous les temps, en toutes circonstances: depuis 12 ans, des membres de la communauté kurde se relaient devant le Conseil de l'Europe pour réclamer la libération de leur chef historique, Abdullah Öcalan, emprisonné en Turquie.

Ils sont installés sur des chaises en plastique, une couverture posée sur les genoux, du café et du thé pour braver le froid. Autour d'eux, plusieurs drapeaux et pancartes arborant des portraits du fondateur du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan (qualifié d'organisation terroriste par l'UE et la Turquie), et son sigle reconnaissable, une étoile rouge sur fond jaune.

Arrêté le 15 février 1999, il y a 25 ans, par les services secrets turcs au Kenya, Abdullah Öcalan est détenu dans une prison de haute sécurité sur l'île d'Imrali, en mer de Marmara, après avoir vu sa condamnation à mort commuée en prison à perpétuité en 2002.

"C'est un honneur pour nous de participer à cette veille", explique Brusk Weran, 34 ans, venu de Hanovre en Allemagne, où il dispose du statut de réfugié. "Les conditions ne sont pas faciles tous les jours, mais il ne faut pas oublier nos amis qui se battent dans des conditions plus difficiles que nous pour cette cause."

Comme lui, chaque semaine depuis 2012, trois à cinq militants se relaient pour perpétuer cette veille. Localement, deux personnes supervisent l'action, et les membres de passage sont hébergés dans un appartement mis à leur disposition par la communauté locale.

"Les gens viennent de toute l'Europe, d'Angleterre, Suisse, Italie", explique Hélène Erin, membre du Centre Démocratique du Peuple Kurde de Strasbourg. "On a divisé l'année, les associations savent quand c'est leur tour et elles envoient quelqu'un. Tous les dimanches, ça change."

Traitement inhumain

Le lieu n'a pas été choisi au hasard: la veille est installée face au Conseil de l'Europe et son Comité pour la prévention de la torture (CPT), qui procède régulièrement à des visites des lieux de détention.

En 2014, la Cour européenne des droits de l'Homme, bras judiciaire du Conseil de l'Europe, avait condamné la Turquie, estimant notamment que la perpétuité incompressible était contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme, et que l'isolement d'Abdullah Öcalan, seul détenu de la prison d'Imrali entre 1999 et 2009, avait constitué un "traitement inhumain". Depuis 2009, une poignée d'autres détenus l'y ont rejoint.

Le CPT a procédé à plusieurs visites de la prison, la dernière en 2022, mais son rapport n'a pas été rendu public. Plus largement, quatre des six rapports concernant la Turquie depuis 2016 n'ont pas été publiés, contrairement à la pratique habituelle.

"Le CPT ne peut publier qu'après que les autorités du pays concerné ont donné leur autorisation, ce qui ne s'est pas encore passé pour ces rapports", a fait savoir à l'AFP un porte-parole.

159 heures d'isolement par semaine

Dans le dernier document publié, en 2019, le CPT indiquait ne pas avoir reçu d'informations relatives à de mauvais traitements, et faisait état de conditions matérielles de détention "globalement satisfaisantes".

L'institution critiquait cependant le régime "pas acceptable" imposé aux détenus, à l'isolement 159 heures sur 168 par semaine, et s'inquiétait des restrictions aux visites d'avocats ou de proches dans la prison. L'entourage d'Abdullah Öcalan demeure sans nouvelles de lui depuis mars 2021, et le dernier entretien avec ses avocats remonte à 2019.

"Les rapports du CPT évoquent de nombreuses violations et demandent à la Turquie d'apporter des changements", déplore Fayik Yagizay, représentant du parti kurde (le HDP, Parti de la démocratie et du peuple) au Conseil de l'Europe. "Malheureusement, les autres organes du Conseil de l'Europe, notamment le Comité des Ministres, n'ont pas agi en ce sens et la Turquie n'a jamais été sanctionnée".

Pour renouveler la demande de libération de leur leader, et inciter la communauté internationale à oeuvrer en faveur d'une "solution politique à la question kurde", une conférence est organisée jeudi à Strasbourg, avant une grande manifestation européenne à Cologne (Allemagne), samedi.

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