A Mulhouse, désarroi dans des tours jumelles vouées à la démolition

"C'est dommage de perdre ça..." A Mulhouse, des habitants de deux grandes tours que la mairie veut démolir refusent de revendre leurs appartements...

Les tours Plein Ciel à Mulhouse le 29 janvier 2025 © ELSA RANCEL
Les tours Plein Ciel à Mulhouse le 29 janvier 2025 © ELSA RANCEL

"C'est dommage de perdre ça..." A Mulhouse, des habitants de deux grandes tours que la mairie veut démolir refusent de revendre leurs appartements et de quitter les lieux.

Les tours Plein Ciel, 72 mètres et 24 étages chacune, dominent le quartier prioritaire des Coteaux, emblématique des "grands ensembles" construits dans les années 1960 en périphérie des villes.

Aujourd'hui, la cité alsacienne et le bailleur social CDC Habitat rachètent, un à un, les appartements de ces copropriétés, 282 logements au total, avec l'idée de démolir les immeubles et changer le visage du quartier.

Au 31 décembre, CDC Habitat en avait déjà racheté 114.

Leur principal argument est le risque d'incendie, qui oblige à des travaux d'un montant colossal.

Mais une partie des habitants, en majorité retraités, refusent de partir, trouvant très insuffisant le chèque proposé pour leur logement.

"C'est pas avec les 43.000 euros qu'ils veulent bien nous donner qu'on va retrouver quelque chose!", s'exclame Béatrice Janton, qui avec son mari avait déboursé 75.000 euros il y a 21 ans pour un quatre pièces. Sans compter les travaux engagés depuis.

"On a tout refait, et maintenant, comme merci..."

Les larmes lui viennent.

"On était bien ici. On avait des voisins sympathiques, un environnement incroyable. Ça, on ne le retrouvera pas", lâche cette ancienne ouvrière textile de 69 ans.

Depuis son balcon du 14e étage, elle contemple le massif des Vosges, au-delà des barres d'immeubles. "C'est dommage de perdre ça", souffle-t-elle.

À vil prix

L'affaire fait l'objet d'une bataille judiciaire.

La ville et CDC Habitat mettent en avant un jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse. Celui-ci a constaté l'incapacité du syndic de copropriété à faire face à ses obligations en matière d'incendie et a permis de nommer une administration provisoire favorable au projet de démolition.

Les copropriétaires, eux, ont eu gain de cause devant le tribunal administratif de Strasbourg, celui-ci ayant déterminé que la loi sur les immeubles de grande hauteur, qui impose les travaux inabordables, ne s'applique pas dans le cas des tours Plein Ciel, puisqu'elle date d'après leur construction.

"Le point de droit que soulève le tribunal administratif ne dit en aucun cas que les tours ne sont pas dangereuses", rétorque l'adjoint au maire chargé du logement, Alain Couchot. "Bien sûr, on comprend la difficulté et la colère des habitants, mais la loi ne nous permet pas de déroger à la sécurité des habitants", ajoute l'élu Horizons.

"C'est une blague!", s'insurge Roland Denier, ancien chauffeur routier qui habite là depuis 1986. "Dans l'immeuble, il n'y a jamais rien eu" comme problèmes d'incendie, renchérit sa femme Nicole.

"C'est une affaire exemplaire au niveau national", affirme Bruno Kern, avocat des propriétaires mobilisés. "Exemplaire de l'utilisation de normes inapplicables pour contraindre des copropriétaires modestes à vendre leur appartement à vil prix et à les mettre dehors, pour ensuite raser les tours, alors que la main sur le cœur, on dit faire ça pour des raisons de sécurité."

"C'est une bonne excuse, mais bon, la tour, elle n'est pas délabrée", avance aussi Marlène Hassler, 88 ans, ancienne concierge de l'immeuble où elle habite depuis 1973. Accepter l'offre ? "Jamais de la vie!"

"Les gens pensent: +elle peut aller en Ehpad+. Moi j'ai pas envie! Et puis je n'ai pas les moyens", se défend cette dame élégante.

Paupérisation

Plusieurs propriétaires seraient prêts à vendre, mais pas au prix proposé, correspondant selon les acheteurs au prix du marché établi par les Domaines de France, un service de l'État.

Ces logements, "c'était du haut standing à l'époque", rappelle Christian Pfister, ancien président du conseil syndical de la tour 1, à la tête de la mobilisation.

Puis, comme dans beaucoup de grands ensembles, les classes moyennes sont parties et le quartier s'est paupérisé.

"Que les appartements se soient dépréciés, c'est malheureusement un constat", justifie l'adjoint au logement.

Le 27 janvier, l'agglomération de Mulhouse a lancé une procédure qui doit permettre d'exproprier les derniers habitants. Ceux qui ne pourront pas se reloger par leurs propres moyens auront des propositions de relogement, promet-on à CDC Habitat.

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