A Marseille, Pierre et Yacouba, boulangers, déplorent "le décalage" de la loi immigration

A la boulangerie Saint-Honoré à Marseille, le patron Pierre Ragot travaille souvent avec de jeunes étrangers comme Yacouba Traoré. Et il sent "un décalage de plus en plus grand" avec les politiques après le...

A la boulangerie Saint-Honoré à Marseille, le patron Pierre Ragot travaille souvent avec de jeunes étrangers comme Yacouba Traoré © Christophe ARCHAMBAULT
A la boulangerie Saint-Honoré à Marseille, le patron Pierre Ragot travaille souvent avec de jeunes étrangers comme Yacouba Traoré © Christophe ARCHAMBAULT

A la boulangerie Saint-Honoré à Marseille, le patron Pierre Ragot travaille souvent avec de jeunes étrangers comme Yacouba Traoré. Et il sent "un décalage de plus en plus grand" avec les politiques après le vote d'une loi immigration qu'il juge "rétrograde".

"Nous, dans notre secteur de la boulangerie, on est souvent amené à travailler avec des étrangers, avec ou sans papiers ou en cours de transition (vers une régularisation), car il y a des milliers de postes de boulangers non pourvus en France. Heureusement qu'on peut travailler avec des étrangers!", confie ce pionnier du retour à un pain artisanal, au levain, à Marseille.

Au petit matin, son équipe, composée de Français et d'étrangers, s'active sans relâche dans l'atelier de la rue d'Endoume d'où sortent baguettes, croissants, pains au petit épeautre de Haute-Provence, aux figues ou aux truffes... Ici, les céréales produites en bio sont travaillées dans le moulin de l'enseigne.

Parmi les boulangers, un militaire français reconverti et Yacouba Traoré, 22 ans, originaire de Côte d'Ivoire. Il y a six ans, encore mineur, il tentait seul la périlleuse traversée de la Méditerranée dans l'espoir d'une vie meilleure en Europe, comme des milliers de migrants chaque année.

Sauvé par une ONG humanitaire, il débarqua en Italie avant de rejoindre la France. Pris en charge dans un foyer et par des éducateurs, il a appris un métier.

"J’ai fait un apprentissage de trois ans, ici chez Saint-Honoré. Après, j'ai eu un contrat à durée indéterminée. Ici, ça me plaît beaucoup. C’est un boulanger que j’aime", confie-t-il, souriant.

"Pour les étrangers, il y a une année supplémentaire d'apprentissage pour qu'ils apprennent mieux le français. Yacouba, c'est un bon élément, il a tout de suite compris le métier", raconte Pierre Ragot, qui a intégré plusieurs jeunes étrangers en apprentissage ou en contrat parmi la trentaine d'employés de ses trois boulangeries marseillaises.

Après le vote cette semaine de la nouvelle loi immigration, qui durcit les conditions d'accueil des étrangers, ce patron-boulanger passionné regrette "le décalage de plus en plus grand entre les politiques et nous les employeurs".

Je paye des impôts comme les Français

La nouvelle loi prévoit par exemple que les étrangers non européens ne pourront pas toucher l'aide au logement comme les Français, même s'ils travaillent. Ils devront désormais attendre trois mois.

"Je pense qu'ils ont autant de droits que tout le monde, surtout qu'ils sont travailleurs. C'est déjà très complexe pour eux de se loger. Tout est plus complexe pour eux de toute façon. Mais ça va être de plus en plus dur", regrette Pierre Ragot.

Yacouba, lui, aime à souligner qu'au fil de son parcours d'intégration, qui lui a permis de passer de l'apprentissage à un CDI, de l'absence de papiers à un titre de séjour, d'un foyer à un appartement, il contribue à la société française: "Je travaille, je paye des impôts comme les Français. Donc on peut apporter beaucoup de choses aussi".

"Ca fait 25 ans que je suis boulanger. La relève est minime", souligne Pierre Ragot, notant que, contrairement à beaucoup de jeunes qui ne "veulent souvent pas travailler la nuit, le dimanche ou pendant les fêtes", ceux qui ont migré "ça leur pose aucune espèce de problème" de venir à 02h00 ou 04h00, comme l'exige le métier de boulanger.

L'économie française aura "massivement" besoin de main-d'oeuvre étrangère au cours des prochaines décennies, en raison du vieillissement de la population notamment, a déclaré mardi le président du Medef, Patrick Martin.

En 2021, le boulanger Stéphane Ravacley à Besançon avait fait une grève de la faim de 10 jours pour obtenir la régularisation de son apprenti guinéen.

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