2014 : débuts peu prometteurs
L’Europe débute l’année avec deux événements symboliques : la Lettonie adopte l’euro contre le gré de ses citoyens et la Grèce prend la direction de l’Union. En France, le Président fait voeu de signer un « pacte de responsabilité » en faveur de l’emploi. Ce sera difficile, vu le prix annoncé par le Medef pour le coût d’un Smicard…
Voilà une année qui débute sous une météo incertaine. En Europe, d’abord, avec l’entrée de la Lettonie dans le club de l’euro. Après l’Estonie, le deuxième des trois Pays baltes bascule complètement dans l’Union. Certes, l’événement était prévu de longue date : initialement programmé en 2008, il avait dû être reporté à la suite des désordres nés de la crise financière. Mais l’adoption de la monnaie européenne intervient dans un climat intérieur tendu : près des deux tiers des Lettons se sont récemment déclarés défavorables à l’introduction de l’euro. Rien de comparable, toutefois, à la situation ukrainienne : les russophiles déclarés ne représentent qu’un quart, environ, de la population totale, une proportion qui correspond à peu près à celle des descendants des foyers soviétiques, implantés par les autorités bolcheviques après la deuxième guerre. D’une façon générale, l’histoire ne favorise pas vraiment l’affection spontanée des Pays baltes pour Moscou – celle des tsars comme celle des soviets. Il n’empêche que la Russie demeure le premier client de la Lettonie, laquelle a opéré un redressement spectaculaire grâce à ses exportations et à une sévère cure d’austérité. Reconnaissons que le pays dispose d’un avantage comparatif substantiel, mais à double tranchant : les salaires les plus bas de la Communauté (le Smic se situe autour de 200 euros). La crainte d’une hausse générale des prix, avec l’introduction de l’euro, ajoute ainsi un motif d’inquiétude à des populations conscientes d’intégrer l’Eurozone dans une phase de basse conjoncture. Bref, ce n’est guère avec enthousiasme que les autochtones renoncent à leur monnaie nationale, le “lats”, remis en circulation voilà tout juste vingt ans en remplacement du rouble letton.
Ensuite, c’est au tour de la Grèce d’assurer la présidence de l’Union durant le premier semestre. Là aussi, cette attribution était programmée de longue date. Mais elle intervient à un moment où Athènes va devoir, de nouveau, palabrer avec ses créanciers : il lui faudra des concours supplémentaires d’ici quelques mois. Même si la situation du pays est jugée moins préoccupante par les technocrates de la Troïka, la Grèce ne peut toujours pas être considérée comme convalescente, c’est-à-dire en voie de rémission. D’autant que les populations, déjà gravement éprouvées, s’opposent vigoureusement aux nouvelles mesures d’austérité prônées par le plan “de sauvetage”. C’est donc sous présidence grecque que l’Union aura à éprouver la solidarité déclinante des Etats-membres à l’égard de leurs cousins. Le tout sur fond d’élections au Parlement européen : l’ambiance devrait être chaude jusqu’à l’été prochain…
En quête de “l’inversion”
En France, les voeux présidentiels ne semblent pas avoir dopé le moral du pékin. Deux raisons au moins justifient ce manque d’enthousiasme. La première concerne la volonté réaffirmée de rétablir, en priorité, les comptes publics. L’engagement n’est pas surprenant ; les moyens, en revanche, se précisent. Les collectivités locales et territoriales pourraient bien se voir transférer des charges présentement assumées par l’Etat, outre la “simplification” des structures à laquelle elles sont promises – une réduction objectivement souhaitable du coûteux millefeuille actuel. Il est question de légiférer sur le sujet et les débats promettent d’être animés. Parmi les foyers de réduction des dépenses, le Président a expressément mentionné la Sécu (dangereusement exposée à une explosion du budget maladie), pour laquelle il est temps d’en « terminer avec les excès et les abus » – une réalité que personne ne peut raisonnablement contester. On l’a souvent dit et répété dans ces colonnes : la Sécu joue depuis longtemps, à son corps défendant, le rôle d’amortisseur dans les relations des salariés avec leur entreprise. L’assurance collective finance ainsi le mal-être au travail, qu’il soit réel ou imaginaire, outre la propension bien française à la surconsommation médicale. L’ennui en la matière, c’est qu’il faudra mettre en place des procédures tyranniques pour obtenir des résultats improbables, c’est-à-dire susciter l’exaspération générale pour réaliser de modestes économies. Sans pour autant contribuer à la sérénité au travail : la question de l’emploi s’appréhende exclusivement en termes quantitatifs. Ainsi, afin de parvenir à la fameuse « inversion de la courbe du chômage », le Président reconnaît la portée modeste des aides à l’emploi accordées jusqu’à ce jour – en particulier les « emplois d’avenir » subventionnés à hauteur de 75% du Smic. Il est donc question d’instaurer un « pacte de responsabilité » avec les entreprises, ces dernières s’engageant à recruter en échange de « moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités ». Le contenu du « pacte » n’est pas encore dévoilé, mais le Medef a accueilli avec entrain la proposition : l’objectif est d’abaisser le coût du travail, une revendication constante du syndicat patronal. Lequel a déjà posé les éléments de l’équation : 100 Md€ de réduction de charges contre la création d’1 million d’emplois. Si l’on ne se trompe pas, cela correspond à une subvention publique de 100 000 euros par an et par emploi créé, ce qui paraît tout de même un peu “chérot” en période de modération salariale, surtout pour créer des postes faiblement valorisés. Si l’emploi d’un smicard coûte ce prix à l’entreprise, on comprend sans peine l’accroissement inexorable du chômage dans notre pays. A moins que le nouveau président du Medef, conscient d’avoir les atouts en mains dans la négociation qui s’annonce, ne fasse monter les enchères au-delà du raisonnable. Car avec 100 Md€ par an, l’Etat peut servir le Smic à 7 427 213 désoeuvrés, et ce jusqu’à leur retraite.