Vitesse limitée sur les routes départementales : une dérogation encadrée

De nombreux départements sont revenus sur la limitation de la vitesse maximale autorisée sur leur réseau routier secondaire, d’autres prévoient de recourir à cette dérogation. S’ils en ont effectivement la possibilité, ce pouvoir est toutefois fortement encadré et le juge administratif veille au strict respect des conditions nécessaires à son exercice. Éclairage sur un retour aux 90 km/h qui fait toujours débat…

De nombreux départements sont revenus sur la limitation de la vitesse maximale autorisée sur leur réseau routier secondaire.
De nombreux départements sont revenus sur la limitation de la vitesse maximale autorisée sur leur réseau routier secondaire.

Une mesure impopulaire

Le très impopulaire décret n° 2018-487 du 15 juin 2018, totalement assumé par le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, avait échauffé les esprits. Celui-ci imposait le passage de 90 à 80 km/h sur toutes les routes départementales de France, excepté pour celles à au moins deux voies affectées à un même sens de circulation. Argument invoqué : la mesure allait permettre de sauver 300 à 400 vies, par an. Soutenus en ce sens par de nombreux Français, certains départements sont montés au créneau en invoquant une mesure trop éloignée des réalités quotidiennes du monde rural. Face au tollé, la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a finalement permis aux présidents des conseils départementaux de revenir ponctuellement et au cas par cas, sur cette mesure. Ce pouvoir est toutefois strictement encadré.


Une dérogation encadrée

Le nouvel article L. 3221-4-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que «le président du conseil départemental ou, lorsqu'il est l'autorité détentrice du pouvoir de police de la circulation, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale peut fixer, pour les sections de routes hors agglomération relevant de sa compétence et ne comportant pas au moins deux voies affectées à un même sens de circulation, une vitesse maximale autorisée supérieure de 10 km/h à celle prévue par le Code de la route.» Il revient en effet au président du conseil départemental, en tant qu’autorité de police administrative d’exercer seul cette attribution. Le conseil départemental n’a donc pas à intervenir ni pour autoriser cet exercice, ni pour le lui déléguer. D’un point de vue formel, le texte de loi prend le soin de préciser que «cette décision prend la forme d'un arrêté motivé.» D’un point de vue procédural, l’arrêté doit obligatoirement être pris «après avis de la Commission départementale de la sécurité routière, sur la base d'une étude d'accidentalité portant sur chacune des sections de route concernées.»


Les critères d’éligibilité des tronçons

La grande difficulté des départements après la publication de cette loi, fut de déterminer quels tronçons pouvaient et lesquels ne pouvaient pas, repasser à une limitation maximale de 90 km/h, la loi imposant un réel calibrage sur mesure. D’abord, évidemment, les présidents des conseils départementaux doivent s’appuyer sur l’étude d'accidentalité obligatoirement réalisée puis, dans une moindre mesure sans doute, sur l’avis de la Commission départementale de la sécurité routière (cet avis ne liant toutefois pas l’autorité). Face à la complexité de la décision et étant donné les enjeux en termes de sécurité routière, le collège d’experts composant le Conseil national de la sécurité routière (CNSR) a rédigé, le 9 juillet 2019, à destination des exécutifs locaux, des «éléments d’aide à la décision» de «dérogation à la vitesse maximale autorisée de 80 km/h sur route bidirectionnelle sans séparateur central.» Dans ce document, le CNSR liste, notamment, six critères permettant d’appréhender la possibilité ou non de faire passer un tronçon de route à 90 km/h :

. l'absence d'une zone de récupération et celle d'une zone de sécurité suffisamment dimensionnée ;

  • . l'absence de traitement des abords (limitation de la signalisation verticale, éradication des obstacles) ;
  • . le non-respect des critères de visibilité et de lisibilité des intersections (tourne-à-gauche et traversées à risque selon les vitesses pratiquées) ;
  • . le non-respect des critères de visibilité et de lisibilité des virages ainsi que les défauts de géométrie ;
  • . le non-respect des critères de visibilité et de lisibilité de la route vis-à-vis des risques liés aux dépassements dangereux, compte-tenu de la densité et de la nature du trafic ;

. l'existence de particularités défavorables à la sécurité, par exemple chaussée mono- déversée.

Cette étude des tronçons, au cas par cas, est fondamentale puisque son résultat doit figurer dans l’arrêté au titre de sa motivation. Le tribunal administratif de Montpellier a eu l’occasion de le rappeler dans un jugement fleuve du 5 avril 2022, annulant 25 arrêtés du président du conseil départemental de l’Hérault (TA Montpellier, 5 avril 2022, n°004418 et s.). En cause : les arrêtés présentaient une motivation «stéréotypée», limitée à cette simple phrase : ces sections de routes départementales «présentent toutes les caractéristiques requises pour relever la vitesse à 90 km/h.» Faute de préciser les raisons ayant rendu possible, au regard notamment de l’accidentalité, le relèvement de la vitesse maximale autorisée sur chacune des sections de route concernées, ces 25 arrêtés ont donc été annulés. Un avertissement aux départements souhaitant emprunter la même voie...

Nicolas TAQUET, avocat