Villes moyennes cherchent «revanche» désespérément
Quitter la grande métropole pour télétravailler dans une ville moyenne «à taille humaine». Depuis deux ans, cette aspiration est répandue. Mais elle ne se traduit pas encore de manière décisive dans les chiffres de l’emploi ni de l’immobilier, indique une note récente de France Stratégie.
Il y a toujours deux manières, au moins, de lire des chiffres. Entre le troisième trimestre de 2019 et le troisième trimestre de 2021, l’emploi, dans les villes moyennes, a davantage progressé (+2,3%) que dans les métropoles (+1,9%). C’est signe, assurément, que ces villes se portent bien et qu’elles ont bénéficié des bouleversements démographiques qui ont accompagné la pandémie. Mais durant cette même période, l’emploi, dans les villes moyennes, a connu une progression comparable (+2,3%, donc) à celle de la moyenne nationale.
C’est le signe que non, finalement, les villes «à taille humaine» n’ont pas pris leur «revanche», comme l’ont pourtant titré tant de magazines et reportages télévisés. Le ministère de la Cohésion des territoires semble privilégier cette dernière interprétation, si l’on en croit le titre de l’étude consacrée à ce phénomène par France Stratégie, lointain héritier du Commissariat au plan : «La revanche des villes moyennes, vraiment ?».
L’étude, commandée par la ministre Jacqueline Gourault à France Stratégie, a été réalisée à partir de deux indicateurs, l’emploi et les prix de l’immobilier, dans 202 agglomérations. Celles-ci comportent au moins 20 000 habitants, dont une ville-centre qui en rassemble à elle seule au moins 10 000, et n’appartient pas à «l’aire d’attraction», définie par l’Insee, de l’une des 22 métropoles institutionnelles. Malgré ces caractéristiques très précises, France stratégie tient à préciser que «ce panel n’a pas vocation à établir une définition des villes moyennes françaises». Il n’existe, en effet, pas de définition officielle de cette catégorie et certains élus jugent le terme «moyenne» dépréciatif, bien qu’il ne se réfère qu’au nombre d’habitants.
Retour en grâce spectaculaire
L’étude devait confirmer, ou non, « l’attention renouvelée » portée aux villes moyennes depuis le début de la pandémie. Ces agglomérations accueillent 35% de la population, une proportion stable depuis les années 1970, et «jouissent d’une image positive auprès des Français», rappellent les auteurs. Tandis que les grandes villes, pendant la période de restrictions liées au covid, semblaient moins désirables, le souhait de disposer d’«une pièce en plus» et d’un espace extérieur précipitait ce que l’on a appelé «l’exode urbain», rendu possible par le télétravail. Pour les villes moyennes, ce retour en grâce est aussi soudain qu’inattendu. Au début du quinquennat, les vitrines vides soulignaient au contraire la dévitalisation des centres anciens au profit des périphéries.
France Stratégie a observé les indicateurs de la décennie 2010 et les a comparés avec ceux des deux dernières années. Avant le covid, les villes moyennes ont mis davantage de temps, par rapport aux métropoles, à se remettre des crises financière et économique des années 2008-2009. L’emploi salarié privé y a moins progressé que dans les grandes villes. De même, en 2019, dans les villes moyennes, les prix de l’immobilier demeuraient inférieurs à ceux de 2010, alors que les pôles centraux des métropoles avaient rattrapé et dépassé le niveau du début de la décennie. Enfin, les villes moyennes se distinguaient par un décalage entre le centre, paupérisé, et la périphérie, plus dynamique. Dans les métropoles, au contraire, ce sont les cœurs qui ont le plus progressé, tant en emploi qu’en immobilier.
L’irruption du covid dans nos vies a-t-elle modifié cette répartition des rôles ? Depuis la fin 2019, l’emploi a certes progressé dans les villes moyennes, mais, comme indiqué ci-dessus, la hausse est à peine plus élevée que dans les métropoles. Dans le panel de villes retenues par France Stratégie, ce sont celles qui se portaient déjà mieux que les autres qui ont accueilli le plus d’emplois. Il s’agit, pour l’essentiel, d’agglomérations proches du littoral atlantique, situées dans le Midi ou le long du Rhône et de la Saône. A l’inverse, les villes du centre, de l’est et du nord du pays ont moins profité de l’embellie du marché de l’emploi.
L’observation du marché de l’immobilier aboutit à une conclusion similaire. On comptait, en 2020, davantage de villes enregistrant une hausse des prix qu’avant l’épidémie. Certaines agglomérations, qui connaissaient un marché en berne fin 2019, ont enregistré une progression l’année suivante. Parmi elles, on compte Châteauroux (Indre), Béthune et Étaples-Le Touquet (Pas-de-Calais), Maubeuge (Nord) ou Sens (Yonne). Mais ces observations, s’empresse de préciser France Stratégie, interviennent alors que «les prix de l’immobilier ont augmenté fortement, dans tous les types de territoires, pendant la période de la pandémie».
La démocratisation du télétravail peut-elle profiter aux ville moyennes ? France Stratégie s’étend longuement sur les atouts de cette tendance pour les salariés («changer de résidence», «économie de temps de transport») et pour les villes ainsi investies.
«L’arrivée de personnes avec un pouvoir d’achat potentiellement plus élevé que les habitants d’origine peut engendrer une pression supplémentaire sur le logement», écrivent les auteurs. Sur le front de l’emploi, les nouveaux arrivants, à terme, «pourraient vouloir trouver un travail» localement, quitte à «engendrer des effets importants sur le marché de l’emploi local, pas nécessairement à même de proposer dans l’immédiat des emplois adaptés», poursuivent-ils. Mais pour l’heure, il ne s’agit que de projections, qui seront, ou non, confirmées dans les années à venir. Ainsi, sans surprise, l’étude conclut que «des travaux ultérieurs seront nécessaires pour caractériser les effets de la pandémie, ainsi que pour mieux qualifier les départs de population des métropoles». La revanche des villes moyennes attendra encore un peu.