Cadeaux de fin d'année - BD

Vertiges de l'imaginaire

Ecrivains et poètes au programme de cette sélection BD où le lecteur croisera Edgar Allan Poe, Umberto Eco, Proust, Rimbaud et Verlaine au fil de planches magnifiant les trajectoires et les œuvres de ces génies.

Quelques planches de la BD "La Maison Usher".
Quelques planches de la BD "La Maison Usher".

La Maison Usher

L’œuvre d’Edgar Allan Poe fascine les artistes depuis plus de cent cinquante ans, de Charles Baudelaire qui signa la traduction de La Maison Usher à Stephen King ou encore Lou Reed qui lui consacra un spectacle et un album. Comme nombre de dessinateurs de BD avant lui, Jaime Calderon s'empare avec jubilation du conte gothique d'Edgar Allan Poe, scénarisé avec sagacité par Jean Dufaux. «Comment deviner ce qu'elle recèle, cache, vit. Tout voyageur préfère passer son chemin devant la maison Usher...» Ainsi débute ce récit d'horreur revisité où Edgar Allan Poe lui-même s'invite chez la famille Usher au destin aussi funeste qu'inéluctable... L'histoire débute avec Damon Price, joueur professionnel poursuivi par la poisse. Acculé, il joue sa vie au travers des cartes mais il doit beaucoup d’argent à l'inquiétant King Leon et n’a que 24 heures pour s’acquitter de sa dette. Le soir même, alors qu’il se dirige vers un vieux bouge, un sinistre carrosse s'arrête. Une odeur nauséabonde s’en dégage et des traces de sang maculent la porte. Il grimpe néanmoins à l’intérieur et la berline s’éloigne...
Grâce à une adaptation en osmose avec le souffle gothique de La Maison Usher, le scénario de Jean Dufaux distille parfaitement l'atmosphère étouffante du conte originel où la maison devient un personnage à part entière, entrecroisant destin romanesque et incises fantastiques. Tandis que le dessin de Jaime Calderon, aux traits élégants et précis, est au service d'une mise en scène fluide.

Editions Delcourt.

Le Nom de la Rose

Si le chef-d’œuvre d’Umberto Eco a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1986, personne n'avait osé le transposer en planches. Il aura fallu attendre plus de 40 ans avant que l'un des maîtres du Neuvième art, Milo Manara, s’empare du célébrissime polar médiéval. Pour rappel, l'intrigue se déroule en l'an 1327, dans une abbaye bénédictine du nord de l'Italie, où plusieurs moines sont retrouvés morts. Pour mettre un terme à ces inquiétantes disparitions avant l’arrivée d’une importante délégation de l’Église, le frère Guillaume de Baskerville tente de lever le voile sur ce mystère qui attise toutes les superstitions. Assisté par son jeune secrétaire Adso de Melk, il va progressivement percer à jour les troubles secrets de la congrégation...
À la demande des héritiers d’Umberto Eco, Milo Manara a eu carte blanche pour partager sa vision du roman, et a choisi un triple parti pris graphique très audacieux. Son adaptation s’ouvre en effet sur Umberto Eco lui-même s’adressant au lecteur, dessiné dans un noir et blanc classique. Puis commence l’intrigue médiévale elle-même, et là Manara renoue avec le noir et blanc au lavis, rehaussé d’effets de matières et de modelés qu’il a déjà utilisé pour Le Caravage. Enfin, comme les livres tiennent un rôle fondamental dans l’intrigue, Milo Manara recrée des enluminures d’époque, réalisées à la manière des moines copistes du Moyen Âge. L’ensemble est mis en couleurs par sa propre fille, là aussi selon la même méthode qui a présidé à la réalisation du Caravage. Un premier tome époustouflant dont on attend la suite avec gourmandise.

Glénat.

Céleste

Dans ce magnifique album, la scénariste et dessinatrice Chloé Cruchaudet tisse avec finesse le portrait passionné de Céleste Albaret, gouvernante dévouée, et parfois secrétaire, de Marcel Proust. Elle le rencontre en 1913, alors qu’elle n’a que vingt-et-un ans, et reste à son service près de neuf ans, jours et nuits, jusqu’à la mort de l'écrivain, en 1922. Souvent sollicitée pour raconter ses souvenirs, ce n’est qu’à l’âge de quatre-vingt-deux ans, qu’elle accepte une série d’entretiens au micro de Georges Belmont, journaliste et éditeur. Soit 49 heures d’enregistrement et un ouvrage, Monsieur Proust, dont Chloé Cruchaudet s’est inspirée.
L’autrice révèle leur lien, l’écrivain reconnu, talentueux, sous toutes ses aspérités, l’atmosphère d’une époque et les dessous de la construction d’une fiction. Monde réel et monde fantomatique s’entremêlent pour nourrir le récit. Dans ce dernier opus, entre désir de gloire littéraire pour l'un et d'ascension sociale pour l'autre, cet étrange couple cherche un équilibre... Un huis clos qui plonge le lecteur au cœur d'une intense relation entre un écrivain de génie et sa gouvernante. 

Céleste. Il est temps, monsieur Proust (Editions Soleil). 

Voleur de feu

Ce passionnant album s'attache à approcher la légende Arthur Rimbaud à travers la fiction. Car la vie d’Arthur Rimbaud reste lacunaire aux yeux de ceux qui l'ont étudié. Des fragments sont attestés et vérifiés, mais une large partie se réduit à des hypothèses. Comment alors raconter la vie d’un homme célèbre qu’on connaît si peu ? Le scénariste et dessinateur Damien Cuvillier choisit ainsi de ne pas raconter la vie du poète mais «une» vie d’Arthur Rimbaud, en comblant les vides avec une imagination fertile.
Ce premier volet d'une série prévue en cinq volumes s'ouvre en juin 1857. Arthur Rimbaud a 3 ans et vit à Charleville-Mézières dans un appartement avec sa mère Vitalie, dont, son grand frère Frédéric, son aîné, et sa petite sœur Pauline. Le père, militaire, est la plupart du temps absent, en mission à l’étranger. La vie est austère pour le petit Arthur, corseté par l’éducation rigoriste de sa mère, et dont le quotidien est rythmé par les leçons et les prières. Ses parents sont souvent en conflit et, en 1859, c’est la dispute de trop : son père quitte définitivement le foyer. Arthur se réfugie dans les études, pour lesquelles il a de grandes facilités, suscitant l’étonnement de ses professeurs. Il lit le latin très jeune, invente des histoires, écrit de la poésie… S'appuyant sur un superbe dessin réaliste, l'auteur s'attache à la jeunesse d'un enfant en marche vers un destin unique. Un opus inaugural prometteur.

Voleur de feu. Une vie d'Arthur Rimbaud (Editions Futuropolis).

Les Illuminés

Ce superbe et singulier album – co-signé Laurent-Frédéric Bollee et Jean Dytar – plonge au cœur du parcours sinueux du manuscrit des Illuminations d'Arthur Rimbaud, comète unique de la poésie française. Entre 1872 et 1877, les poètes Arthur Rimbaud, Paul Verlaine et Germain Nouveau se cherchent, se fuient, s'enivrent, tandis qu'un manuscrit circule de main en main et semble leur brûler les doigts… Le récit débute un jour de septembre 1872 alors que Germain Nouveau déambule dans les rues de Paris, en marche vers un café où il retrouve Paul Cézanne, en compagnie d'autres artistes. Rapidement, la conversation tourne autour de Verlaine qui a quitté femme et enfant pour voyager avec Arthur Rimbaud. Après une halte bruxelloise, les deux poètes débarquent en Angleterre, direction Londres, mais leur escale à Douvres tourne court. Tandis que Rimbaud partage avec Verlaine les vers et les visions qui l'habitent, ce dernier évoque sa façon de façonner les mots, d'explorer au plus profond de son âme la folie qui le gagne...
Parfaitement agencé, le scénario de Laurent-Frédéric Bollée peint avec finesse les relations tumultueuses, les quêtes d'identité, d'inspiration et de vérité de ces artistes, plongeant au cœur de leur passion dévorante de l'écriture. Tandis que les dessins de Jean Dytar saisissent au plus près les personnages et l'atmosphère de l'époque. Un magnifique hommage au génie révolutionnaire de ces poètes maudits.

Editions Delcourt.