Acquisition de congés payés pendant un arrêt maladie ou d’accident ou de maladie professionnelle
Une mise en conformité avec le droit européen en suspens
Le droit français n’est pas toujours «raccord» avec les textes de l’Union Européenne. La démonstration est éclatante dans le domaine de la maladie et des congés payés. Eclairage.
La question est simple : un salarié acquiert-il des congés payés pendant une période d’arrêt de maladie ou d’accident ou de maladie professionnelle (AT/MP) ?
Au regard du droit français, cette réponse au droit à congé était incontestablement négative puisque l’article L3141-3 alinéa 1 du Code du travail dispose que «le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur». En visant, spécifiquement la notion de «travail effectif», le législateur excluait donc toute acquisition de congés pendant la maladie. Le même Code du travail a toutefois prévu deux exceptions à ce principe : les périodes de congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant et d'adoption et celles (dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an) pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle (C. trav. art. L3141-5).
Toutefois, la directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail a prévu, dans son article 7, que les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.
On relèvera que dans cette dernière source, aucune mention de «travail effectif» n’apparaît. La Cour de cassation en avait déduit que le droit français n’était pas conforme au droit européen, moins restrictif, mais que le juge ne pouvait permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire (Cass soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-22285). En d’autres termes, il ne restait plus au salarié lésé que la possibilité d’attaquer l’Etat devant le juge administratif, en lui reprochant de ne pas avoir retranscrit les dispositions européennes dans l’ordre juridique interne (CAA Versailles, 17 juillet 2023, n° 22VE00442).
Récemment, devant le refus des autorités françaises de faire évoluer la loi, la Cour de cassation avait décidé que certes, l’article 7 de la directive européenne de 2003 n’était pas directement applicable, mais si l’interprétation de la règle nationale ne permettait pas d‘aboutir à une solution conforme à la directive européenne, le juge français se devait néanmoins de laisser la réglementation nationale inappliquée, en vertu du seul article 31, § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (prévoyant que «tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés»). Clairement, les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’UE ont vocation à être appliqués dans tous les pays concernés (CJUE 6 novembre 2018, aff. C-569/16 - Cass soc. 15 septembre 2021, pourvoi n° 20-16010, 2 mars 2022, pourvoi n° 20-22214).
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation était mûre pour un revirement. Par deux arrêts fondamentaux du 13 septembre, la Cour de cassation a tranché, et décidé que les salariés acquièrent des droits à congés payés :
- pendant leurs arrêts de travail pour maladie non professionnelle (Cass soc., pourvoi n° 22-17340).
- dans le cadre d’une suspension du contrat de travail liée à un accident ou à une maladie professionnelle, le droit à congé n’étant plus limité à un an (Cass. soc., pourvoi n° 22-17638).
Et au milieu de cette grande confusion, il ne manquait plus qu’au Conseil constitutionnel d’être saisi. C’est désormais chose faite (Cass soc., 15 novembre 2023, pourvoi n° 23-14806). Il a jusqu'à la mi-février pour se prononcer.
Quelle doit alors être la réaction des employeurs ? Sur ce point l’attente semble être bonne conseillère. Dans le cadre de la rencontre «Impact PME», organisée, fin novembre 2023, à Paris, par la CPME, Confédération des Petites et Moyennes entreprises, Elisabeth Borne, alors Première ministre a, en effet, annoncé une loi «pour mettre notre droit en conformité» avec le droit européen, au cours de ce premier trimestre 2024. Et, en réponse à des dirigeants inquiets, elle a souhaité «réduire au maximum l’impact de cette décision» sur les entreprises. A suivre...