Une ligne, deux façons de faire

Dans l'attente des premiers licenciements des personnels de la SCOP SeaFrance mise en liquidation judiciaire en juillet dernier, nous nous sommes intéressés aux conditions de travail chez le potentiel repreneur des navires d'Eurotunnel et la coopérative qui préside à l'armement des Rodin et Berlioz depuis l'été 2012 et qui les occupe depuis le 29 juin dernier.

« Sébastien Cottet, membre du syndicat maritime Nord de la Scop ».
« Sébastien Cottet, membre du syndicat maritime Nord de la Scop ».
CAPresse 2015

Le Calais Seaways, armé par DFDS, quittant le port de Douvres.

Le monde réglementaire maritime est comme la situation sur le transmanche : complexe. Entre les métiers catégorisés (maître d’équipage, timonier, second maître, matelot, mécanicien, intendant, chef de bordée…), les échelons dédiés à chaque catégorie et les accords internes plus favorables à la législation, on trouve de tout. Dans la négociation entre les marins de la SCOP, Eurotunnel et le nouveau partenaire de ce dernier (l’armateur danois DFDS), la question de la reprise des personnels bute sur le nombre (202 sur 460) et les conditions d’emploi.

Chez la SCOP SeaFrance, la convention collective des armateurs de France est intégralement appliquée ; cette convention de 31 pages fixe toute une série de règles propres au monde maritime. Il faut en retenir principalement deux : le rythme temps à bord/temps à terre est d’une semaine et le coefficient de travail tourne autour de 2,4 ; enfin, la durée de travail quotidien ne peut excéder 11 heures. Chez SeaFrance, les équipes à bord font du 7/7 : sept jours à bord, puis 7 jours à terre. Au bout de six cycles de ce type, les marins et personnels de service ont trois semaines de congés. Ils les cumulent grâce à un coefficient de 2,466 qui correspond à un jour de travail + 1 jour de repos + 0,466 jour de congé. Chez DFDS, le rythme est différent et plus soutenu.

CAPresse 2015

Sébastien Cottet, membre du syndicat maritime Nord de la SCOP.

Des équipages différents malgré des navires similaires. Les marins qui embarquent (à Dieppe, Calais ou Dunkerque) font du 14/14. : deux semaines à bord, deux semaines à terre. Sur le transmanche, le rythme est de cinq allers-retours par équipage (contre quatre pour la SCOP). Avec cinq allers-retours (la durée est de 4 heures, dont 45 minutes d’escale), les personnels du Calais Seaways ne s’ennuient pas… Les salariés de DFDS à bord bénéficient d’un coefficient de 2,17, soit un jour travaillé, un jour de repos et 0,17 jour de congé qu’ils cumulent pendant six cycles. Si l’on compare le Rodin (armé par SeaFrance, 1 900 places) et le Calais Seaways (armé par DFDS, 1 850 places), on s’aperçoit vite que la coopérative met plus de monde sur ses bateaux. “La grosse différence, c’est le service hôtelier“, fait observer Sébastien Cottet, membre de la coopérative et second de cuisine à bord. Sur le Calais Seaways, DFDS emploie 57 personnes (dont, par exemple, un seul chef de bordée contre deux pour la SCOP) et 31 personnes sont “au public”. Sur le Rodin, on compte entre 65 et 67 personnes d’équipage. “Cela dépend aussi de ce qui entre dans les navires, précise Sébastien Cottet. Quand il y a beaucoup de motos par exemple, on ajoute un renfort parce que chaque moto s’amarre à la main. De manière générale, on prévoit toujours quelques renforts à bord pour servir les clients.” Ainsi, des doublons peuvent apparaître en restauration quand les relèves se font et qu’il y a le coup de feu. De manière générale, il y a plus de monde pour MyFerryLink que pour DFDS. La première gagne de l’argent et la seconde, pas encore.

Sur un navire, on dort peu, on somnole“. Côté salaires, sur certains postes les salaires de DFDS sont supérieurs. “Mais on leur en demande plus“, précise Sébastien Cottet. Un second de cuisine peut ainsi avoisiner les 2 000 euros net/mois, mais son amplitude de travail ne descendra jamais en dessous de 11 heures par jour et 14 jours d’affilée à bord. “Sur une distance courte comme le transmanche, c’est un rythme infernal. Toutes les 2 heures, le bateau touche le quai : pour récupérer, ce n’est pas évident. Sur un navire, on dort peu, on somnole : les gens reviennent à terre complètement rincés.” Pour les officiers, on note une différence de traitement chez DFDS. Seul le commandant tourne en 7/7. Tous les autres officiers sont sur un rythme de 14/14. Chez la SCOP, on dénonce aussi un taux de maladie qui est monté à 37%, contre 11% chez SeaFrance. On pointe aussi le turn-over et le travail avec des salariés qui ne parlent pas français (notamment des Lituaniens ou des Portugais à Dunkerque). Certains employés à Calais ont également pu être affectés à la ligne Dieppe-Newhaven ou Dunkerque-Douvres. Autant de différences que n’accepteront probablement pas les scopiens qui misent sur la création d’une nouvelle SCOP pour le fréteur Nord-Pas-de-Calais et qui négocient sévèrement avec DFDS pour qu’il s’aligne sur leur statut d’armement français sous convention collective française. Le secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies, aura du pain sur la planche à son retour de congés… La rentrée sera aussi judiciaire avec, début septembre, le tribunal de commerce de Paris qui dira si le contrat conclu entre Eurotunnel et DFDS (pour la location-bail des Rodin et Berlioz) respecte la décision qu’il a lui-même rendue lors de la vente des bateaux de l’ex-SeaFrance au groupe franco-britannique (ne pas les vendre avant cinq ans, c’est-à-dire en juin 2017). Si le contrat est annulé, Eurotunnel se retrouvera face à une nouvelle SCOP.

Note : Malgré nos demandes réitérées, DFDS n’a pas souhaité répondre à nos questions.