Une crise immobilière s'ajoutera-t-elle à la crise sanitaire ?

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Le Gouvernement nous a plongés dans un univers pour le moins inconnu, mais tout de même pas impitoyable : l’état d’urgence sanitaire. La loi n° 20 20-290 du 23 mars 2020 a pour but de faire face à l'épidémie de Covid-19. Dispositions électorales, réalité sociale, urgence économique… la pierre, qualifiée de «valeur refuge», peut-elle vraiment traverser la tempête sans y laisser quelques plumes ?

© Thomas Launois
© Thomas Launois

Si la peur n’évite pas le danger, ignorer les étapes d’un processus long et finalement incertain risquerait de précipiter la crise ou, pire, de l’accentuer, à l’instar de la crise des subprimes de 2008 – «une crise financière sans précédent depuis 1929», disait-on à l’époque… Il y aura bel et bien un avant et un après ; tout ce qui était auparavant, y compris la valorisation des biens, n’est plus certain.

Une valse à quatre temps

Inévitablement, la Bourse a subi instantanément la crise. Mais rappelons que le temps de la Bourse n’est pas celui de l’immobilier.

La situation immobilière se compose comme une valse à quatre temps.

1. Celui que nous connaissions : un temps de réjouissance de l’immobilier avec des taux historiquement bas et un nombre de transactions historiquement haut. Un véritable âge d’or, inconnu des plus jeunes.
2. Celui que nous connaissons : un temps d’expectative, avec des craintes et des réflexes de repli sur soi, souvent irrationnels. Il devrait durer jusqu’à la fin du confinement et les premiers jours de reprise effective du travail. L’action balaiera instantanément ce temps, vivement.
3. Celui que nous allons connaître : un temps d’illiquidité, la théorie du pare-brise et du rétroviseur. Les opérateurs regardent devant et les experts regardent derrière, au milieu il y a les bonimenteurs… Ce temps d’illiquidité peut durer de 12 à 24 mois, mais va forcément durer. Pas d’inquiétude si les banques jouent le jeu, notamment les reports massifs d’échéances.
4. Enfin, celui que nous ne connaissons pas mais que nous redoutons tous : le temps du marché. La théorie du «je te tiens, tu me tiens par la barbichette», le premier du vendeur ou de l’acquéreur qui rira aura le sentiment d’avoir gagné. Mais gagné quoi au juste ?… Car le même acheteur gagnant d’un jour sera perdant le lendemain lorsqu’il deviendra vendeur lui-même…

Ne pas se précipiter

Les premiers constats concernant le marché lillois ne semblent pas accablants, même s’ils seront rapidement évolutifs.
Un agent immobilier témoignait récemment de ses quarante compromis en cours de signature chez le notaire et de ses deux défections (seulement)… Cet appartement mis en vente par le système de vente notariale interactive (VNI), évalué à 1 050 000 € (avant le confinement) s’est vendu à 1 105 000 € il y a quelques jours (pendant le confinement).
Le foncier, denrée rare s’il en est, dont le prix SDP (surface de plancher) n’est pas là de s’affaiblir compte tenu du besoin de logements, Covid ou pas. Pour les loyers commerciaux, les demandes de report ou d’annulation qui pleuvent, et sans doute les demandes de baisse qui pleuvront, favoriseront aussi un retour à la raison des taux de rendement. Cet important investissement «bureaux» (plus de 20 M€), «dealé» avant le confinement, qui se trouve différé par un investisseur institutionnel.
Evidemment, quelques opportunités de marché offriront quelques bonnes affaires, mais rappelons que les opportunités ne font pas le marché. L’inquiétude doit laisser la place à la confiance en certains facteurs (la force de l’Etat, la capacité des banques, la stabilité politique et monétaire, l’Europe). A cet instant, c’est le statu quo et il va durer. Cette valse à quatre temps risque d’être malmenée, mais elle permettra d’éviter peut-être la panique.
L’immobilier est une valeur refuge : certains l’ont imagé, non sans excès, comme un coffre-fort. Le principe même d’une valeur refuge est sa capacité de résilience, ne serait-ce que par son inertie ; elle nous protège des décisions à l’emporte-pièce. Il est donc tout à fait prématuré de paniquer et de se précipiter, sauf à se tirer une balle dans le pied.

Marie NOEL et Jean-Jacques MARTEL, docteur en droit, expert immobilier agréé par la Cour de cassation