Une audience solennelle de rentrée exceptionnelle

L’audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire* d’Arras permet au président du tribunal, Nicolas Houx, et le procureur de la République, André Lourdelle, de présenter le bilan de l’année passée et d’exposer leurs actions et les résultats.

Le procureur de la République, André Lourdelle, et le président du tribunal, Nicolas Houx.
Le procureur de la République, André Lourdelle, et le président du tribunal, Nicolas Houx.

Événement pour l’audience du 30 janvier, il n’est pas d’usage que le bâtonnier Me Didier Robiquet soit autorisé à prendre la parole. Il a évoqué les préoccupations des avocats, dont la refonte de leur régime de retraite et d’autres sujets importants concernant les différentes réformes «sans concertation réelle» et les moyens «indignes» octroyés à la justice.
Les interventions se sont déroulées devant un parterre d’officiels, le secrétaire général adjoint de la préfecture du Pas-de-Calais, les élus, les responsables de la gendarmerie, de la police et des douanes, de nombreux avocats, ainsi que les représentants de la société civile.
Cette audience a permis l’installation de Silvia Cogez, directrice des services de greffe, et de Coralie Lefebvre, greffière. Nous avons extrait des interventions quelques sujets.

Un bilan 2019 encourageant

Le ressort d’Arras est largement impacté par le contentieux des violences intrafamiliales. Comme l’explique le procureur, «le Grenelle des violences faites aux femmes ouvert et conclu avec le préfet, dans le cadre du comité local d’aide aux victimes, a eu un impact immédiat et durable sur le nombre d’affaires révélées. Nous sommes ainsi passé, d’un mois sur l’autre, de 20 mesures de garde à vue pour violences conjugales à 42.»
L’engagement sans faille des forces de sécurité est largement souligné : «Elles ont à cœur de maintenir un niveau qualitatif et quantitatif de leur activité judiciaire alors qu’elles sont de plus en plus sollicitées pour des mesures de police administrative… et dans un contexte de mouvements sociaux à répétition.» Il relève la stabilité des choix dans l’orientation des poursuites : «En ayant recours de façon importante aux alternatives aux poursuites et procédures dites simplifiées, le tribunal s’inscrit désormais durablement dans les chiffres médians des juridictions du même groupe.» Il note une augmentation de l’activité civile concernant des mineurs : «À quelques mois de l’entrée en vigueur du nouveau Code des mineurs, cela ne manque pas d’inquiéter.»

Nous souhaitons accueillir cette succession de réformes, non pas comme une sous-estimation de la charge de travail très conséquente de notre institution, mais comme la reconnaissance de la capacité d’adaptation sans cesse démontrée – peut-être trop – des femmes et des hommes qui ont l’honneur de rendre la justice dans ce pays.”

Une succession de réformes : «un grand bain sans bouée ?»

André Lourdelle se préoccupe du rythme des réformes : création des tribunaux judiciaires, réforme de la procédure civile et de la procédure pénale, refonte du système des peines, etc. Ce, «sans textes consolidés, ni décrets et circulaires éclairants». Une réelle satisfaction est la réduction des délais de convocation tous modes de poursuites confondus, dans une fourchette de quatre à six mois, «afin qu’auteurs et victimes aient une décision dans un délai raisonnable». Il est certain que le mouvement social qui agite actuellement les barreaux pose un problème de délais d’audiencement.
Lors de son installation, le procureur général avait invité les magistrats à sortir des tribunaux. «Les sept magistrats du parquet d’Arras s’y emploient à l’occasion de partenariats, d’échanges, d’interventions extérieures, et ce, malgré une charge de travail importante et une période de sous-effectif récente de six mois.» Dans un ressort qui compte autant de communes éloignées du siège, c’est une nécessité. «La présence dans les conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, la signature de 42 conventions de rappels à l’ordre avec les maires ne suffiront pas à désenclaver, par exemple, les 103 communes du Ternois : l’absence de médecins pour les levées de corps, le délai de plus de 3 heures pour rejoindre l’institut médico-légal de Lille, l’absence de présence de structures juridiques ou judiciaires de proximité sont autant d’écueils.» Il convient de réfléchir à la création d’une unité médico-judiciaire et de militer pour la création d’une maison de justice et du droit, voire une maison “France services” sur le Ternois.
Le président du tribunal complète : «Alors que la réforme des pôles sociaux au 1er janvier 2019 n’est pas pleinement achevée, nous débutons 2020 en remplaçant les tribunaux de grande instance et d’instance par le tribunal judiciaire, avec quelques modifications procédurales.»
Au 24 mars entre en vigueur la réforme des peines, suivie au 1er septembre de la réforme des assignations et de la procédure de divorce, avant de finir au 1er octobre avec la réforme du droit pénal des mineurs. «Nous souhaitons accueillir cette succession de réformes, non pas comme une sous-estimation de la charge de travail très conséquente de notre institution, mais comme la reconnaissance de la capacité d’adaptation sans cesse démontrée – peut-être trop – des femmes et des hommes qui ont l’honneur de rendre la justice dans ce pays.»

Zoom sur quelques indicateurs parmi d’autres

Le président explique avec concision quelques indicateurs. Concernant l’activité du service des affaires familial, «il y a un quasi-équilibre entre les dossiers entrants et sortants qui témoigne d’une dynamique innovante positive avec la promotion des règlements amiables des différends familiaux. En 2019, 101 accords parentaux ont été concrétisés, l’équivalent de 5 audiences hors et après divorce (34 accords en 2018)».
L’attention accordée à la progression de l’activité civile ne se fait pas au détriment de l’activité pénale. «Le nombre de dossiers jugés devant le tribunal correctionnel augmente à son tour de 2,5% comparé à 2018.»
Au 1er janvier 2018, le pôle social comprenait un stock de 3 401 dossiers à juger. «Ce chiffre est ramené à 2 430 en moins de deux ans, tout en assurant la prise en charge des nouveaux dossiers qui ont été majorés, depuis le 1er janvier 2019, des contentieux de l’ex-tribunal de l’incapacité et de la Commission départementale d’action sociale.»
Le nombre de dossiers d’aide juridictionnelle (AJ) déposés en 2019 est de 4 650 ; 99% des dossiers (4 608) aboutissent à une admission effective au bénéfice de l’AJ, ce qui démontre que les demandes sont fondées. Un grand nombre concerne des contentieux relevant de la compétence du juge aux affaires familiales, puisqu’au moins 75% des dossiers avec avocat devant les juges aux affaires familiales comportent au moins une partie admise au bénéfice de l’AJ. Dans une situation de paupérisation, de nombreux justiciables saisissent la justice que lorsqu’ils y sont contraints (le plus souvent en cas de désunion) et rarement pour défendre des intérêts économiques qu’ils n’ont pas.

Un esprit d’équipe

Le procureur a souligné l’esprit d’équipe, «qui va au-delà du groupe actuel et traverse le temps». Il en veut pour preuve le retentissement médiatique qui vaut à Arras l’attention des médias du monde entier sur le traitement spécifique des conjoints violents avec la création du Home des Rosati il y a 12 ans.
Le président complète : «Les résultats, du siège comme du parquet, traduisent la qualité du travail et l’excellence de l’engagement professionnel. Derrière les chiffres, qui ne sont que des indicateurs, c’est aussi dans l’état d’esprit et dans l’ambiance de notre juridiction qu’il faut rechercher les ferments de la qualité de la justice que nous délivrons. Notre solidarité, notre vivre-ensemble sont précieux

* Pour mémoire, le tribunal judiciaire est issu de la fusion du tribunal d’instance (TI) et du tribunal de grande instance (TGI). Il est compétent pour tous les litiges qui n’ont pas été confiés à un autre tribunal (tribunal de commerce, conseil de prud’hommes) quelle que soit la valeur du litige. Dans ce tribunal, certains litiges sont confiés à des juges spécialisés. Le tribunal est saisi par assignation ou par requête.

Coralie Lefebvre, greffière, et Silvia Cogez, directrice des services de greffe judicaires adjointe (cf. plus haut sur le libelle de la fonction).