Un an et demi après Nahel, Nanterre en "personnage principal" d'une pièce de théâtre

Le 27 juin 2023, soir de la mort de Nahel, "j'entends mon quartier crier de douleur", déclame un des 14 comédiens amateurs sur la scène du théâtre des Amandiers à Nanterre, à la veille de la première représentation d'une pièce...

Un jeune acteur amateur sur la scène du théâtre des Amandiers à Nanterre pour la répétition de la pièce “Nemetodorum", le 7 février 2025 © Thibaud MORITZ
Un jeune acteur amateur sur la scène du théâtre des Amandiers à Nanterre pour la répétition de la pièce “Nemetodorum", le 7 février 2025 © Thibaud MORITZ

Le 27 juin 2023, soir de la mort de Nahel, "j'entends mon quartier crier de douleur", déclame un des 14 comédiens amateurs sur la scène du théâtre des Amandiers à Nanterre, à la veille de la première représentation d'une pièce où la ville occupe le premier rôle. 

Un an et demi après ce traumatisme, le meurtre de l'adolescent tué par un policier à bout portant et les émeutes qui ont suivi à travers toute la France les ont réunis pour parler de la "meilleure ville du monde" dans une pièce présentée samedi et dimanche, "Nemetodorum".

"Le sujet, c'est toujours Nanterre et les émeutes. +A Nanterre ils cassent tout+, Nanterre a une sale réputation... Mais il y a des personnes qui ont des rêves, des ambitions, qui font de grandes choses" ici, résume l'une des comédiennes, Ayana Mroizi, 19 ans. 

Avec 13 autres Nanterriens de toutes origines, âgés de 14 à 25 ans, elle a participé depuis septembre aux dizaines heures d'atelier d'écriture et de travail sur scène qui ont permis la création de "Nemetodorum" ("bourg sacré", premier nom celte de la commune), pièce d'une heure et demie dédiée à cette ville de presque 100.000 habitants, à un jet de pierre de la capitale.

"Je suis arrivé en essayant de me dépouiller le plus possible de ce que je pensais moi, pour leur demander simplement: de quoi avez-vous envie de parler ?", résume Noham Selcer, artiste associé au théâtre qui a recueilli et construit le texte avec eux.

Stigmatisation

Réponse? De leur quotidien: Nesrine déambule sur scène dans son survêtement violet à strass en parlant de ses balades "jusqu'à la Déf'" (le quartier d'affaires et commercial de La Défense) avec sa meilleure copine. Alassane décrit sa routine sportive et son "corps entier qui s'accroche". Leonor dit le salon de sa mère qui "accueille tout le monde les bras ouverts". 

Mais ils parlent aussi de "la stigmatisation", du racisme, des violences policières, sans pour autant ne réduire leur ville qu'à ses plaies.

"Il fallait trouver le bon angle, artistiquement, prendre le temps (pour) donner une tribune à la jeunesse", résume Nicolas Sene, cinéaste et coordinateur de l'Espace jeunesse dans le quartier Pablo-Picasso qui a co-créé l'oeuvre sur une idée du directeur du théâtre, Christophe Rauck. 

La pièce toute entière tient sur cette ligne de crête: parler du traumatisme sans essentialiser la ville et ses habitants, souvent caricaturés par les chaînes d'information en continu.

"Nanterre, c’est le personnage principal", résume le benjamin du casting Aymen Yagoubi, petite boule d'énergie de 14 ans.

Les jeunes alternent entre instants de poésie aux pieds des tours Aillaud qui défilent derrière eux sur une musique planante, déjeuners rigolards entre potes, franche révolte et ironie cinglante.

Comme lorsqu'ils parodient un plateau de Cnews sur les émeutes pour moquer la tendance médiatique à accuser "les Arabes et les Noirs" de tous les maux.

"Les médias ont volé l'image de ce qu'est Nanterre et la banlieue", estime Rode Safollahi, 24 ans, qui espère grâce à cette pièce "apporter une parole factuelle, normalisée".

Un peu de pudeur

Si le meurtre de Nahel est abordé dès les premières secondes, une scène qui devait reconstituer la journée fatidique du 27 juin a finalement été retirée du texte d'un commun accord.

"Une forme de silence s’imposait, qui n’est pas une censure, pas un oubli, mais un peu de pudeur, trop de choses se sont mal racontées", se souvient Julie Bertin, qui a mis en scène la pièce avec Jade Herbulot.

Si Nahel est dans tous les esprits, "la vie continue parce qu'elle doit continuer" pour Nesrine, Ayana, Marija, Simon, Wassim, qui disent leurs espoirs et leurs rêves: apprendre un sport de combat, défendre les droit des femmes, rendre fière sa famille.

"Sur les 1.000 personnes qui viendront nous voir, je pense que chaque personne pourra s’identifier à un moment dans la pièce", assure Ayana.

Les deux représentations seront peut-être l'occasion pour certains spectateurs d'"écouter l'autre, d'essayer de se mettre à sa place", espère Rode Safollahi, "d'être poreux à ce qu'il se passe".

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