Transmettre les entreprises familiales, un défi permanent
En dépit du pacte Dutreuil, transmettre une entreprise familiale demeure complexe et plus coûteux que dans d'autres pays européens. Mais la relève est là...
La transmission des entreprises, enjeu vital pour l'économie. Le 12 juin dernier, le Medef organisait une rencontre à ce sujet à son siège parisien. Car si une relève d'entrepreneurs est bien là, en matière de transmission d'entreprises, la France revient de loin et les conséquences du passé se font encore sentir. Telle est l'analyse de l'un des intervenants de la rencontre, Philippe d'Ornano président du directoire de Sisley (cosmétiques) et coprésident du METI, Mouvement des entreprises de taille intermédiaire. «En 1981, la France comptait autant d'ETI que la RFA. Aujourd'hui, c'est trois fois moins», explique-t-il.
Pour Philippe d'Ornano, en matière de transmission
d'entreprises familiales, «tout
a été bloqué pendant 20 ans. Cela a été l'une des raisons
importantes de l'affaiblissement de l'économie et des territoires où
ces ETI étaient présentes. Elles ont disparu»,
estime-t-il. A partir de 2003, le pacte Dutreuil a véritablement
changé la donne. «Il
a simplifié les dispositifs existants et il a ajouté l'abattement
sur l'ISF pour les parts d'entreprises, qui était la lame de rasoir
qui poussait les entreprises à se vendre»,
estime Philippe d'Ornano.
La situation actuelle n'en est pas pour autant optimale. Plusieurs dispositions devraient être prises pour l'améliorer. Tout d'abord, «le pacte a été simplifié mais cela reste encore un dispositif complexe. Il faudrait le rendre plus simple encore», avance Philippe d'Ornano. Deuxième difficulté, «nous sommes passés d'un problème de blocage complet à un problème compétitif (…) aujourd'hui, le réalignement des conditions de la transmission d'entreprises constitue un enjeu de compétitivité par rapport aux autres pays européens», ajoute-t-il.
Troisième difficulté encore, contrairement aux créations d'entreprises, les transmissions ne sont pas recensées de manière officielle. Résultat, ou cause de cette absence de données officielles ? «Nous n'avons pas de politique publique de la transmission d'entreprise. (…) On parle dans le vague», regrette Philippe d'Ornano. Or, ne pas disposer d'outils pour mesurer le phénomène entrave une action publique potentiellement utile, «dans le contexte de finances publiques très dégradées, où c'est un peu le compétition pour chercher des fonds», pointe Samuel Tual, vice-président du Medef, et président de l'ETI Actual group.
A ses yeux, l'histoire de l'entreprise familiale fondée par
son père illustre la nécessité de favoriser la transition. En
2015, lorsque Samuel Tual a repris la société, son chiffre
d'affaires s'élevait à 300 millions d'euros contre 1,6 milliard
aujourd'hui. «On
ne devient pas un champion du jour au lendemain. L'économie
française a besoin de permettre la pérennité des entreprises . Il
s'agit d'un enjeu de compétition à l'échelle internationale»,
explique-t-il.
Un modèle complexe mais une relève s'avance
De fait, dans plusieurs autres pays européens, la transmission d'entreprises familiales est moins coûteuse et plus simple, selon le document «ETI, la relève», réalisée par KPMG pour le METI (2023). L'étude s'est concentrée sur la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. A la base, les droits de succession et de donation, sont «plus faibles» et les abattements pour donation en ligne directe «bien plus importants» qu'en France, dans ces pays. Mais certains d'entre eux n'en disposent pas moins de régimes spécifiques dédiés aux transmissions d’entreprises familiales. Avec deux modèles différents. Le premier : exonération totale de droits sans régime spécifique ou à des conditions très simples (Italie et Luxembourg). Le second modèle prévoit des exonérations totales ou partielles de droits avec des régimes spécifiques plus ou moins complexes à mettre en œuvre (Belgique, Espagne et Allemagne).
En France, «une augmentation du
taux d’exonération, aujourd’hui de 75%, serait favorablement
accueillie par les dirigeants, en permettant de réduire le coût
fiscal de la transmission et ainsi de tendre vers ce qui se pratique
dans certains pays européens», selon l'étude. Plus
largement, selon cette dernière, les dirigeants restent insatisfaits
du cadre juridique et fiscal des transmissions d'entreprises. Un sur
trois seulement le considère favorable. Et pour les trois quarts
d'entre eux, complexité et instabilité du cadre légal sont
considérés comme un frein. De fait, pour réaliser ces opérations,
ils sont plus de huit sur 10 à faire appel à un ou plusieurs
professionnels pour gérer la fiscalité ou ses aspects juridiques.
En dépit de ces difficultés, dans les ETI, la relève est là... Parmi les entrepreneurs venus témoigner figurait Caroline Poissonnier, directrice générale du groupe Baudelet Environnement (140 millions d’euros de chiffre d'affaires) depuis 2018. La jeune femme a repris l'entreprise familiale avec son frère, co-dirigeant, dans le cadre du pacte Dutreuil. Tous deux ont fait carrière dans l'entreprise, débutant par des postes très opérationnels. «Nous avons appris le métier, les valeurs mais nos parents nous ont laissé très libres», témoigne Caroline Poissonnier.
Gérer la dimension familiale de l'entreprise n'est pas simple, reconnaît-elle. «Mon grand-père n'avait jamais lâché l'entreprise et mes parents en ont souffert. Il avait toujours un avis sur tout... Ils n'ont pas voulu nous faire subir cela ! De notre côté, nous les avons accompagnés pour leur faire prendre conscience qu'ils devaient inventer leur vie d'après». Autre défi, celui des relations quotidiennes dans le travail entre frère et sœur. «Un coach nous accompagne lorsque des décisions deviennent compliquées à prendre», relate Caroline Poissonnier. Les deux se sont aperçus que s'ils ne parvenaient qu'à un consensus mou, cela ne marchait pas. «Demi-décision égale emmerdes au carré !», commente la dirigeante...