Symbole de liberté, l'Iranien Rasoulof ovationné à Cannes

Le cinéaste Mohammad Rasoulof a transformé le Festival de Cannes en caisse de résonance pour les femmes iraniennes et leur résistance, en fuyant le régime des mollahs au péril de sa...

Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof brandit les photos de l'acteur iranien Missagh Zareh, à gauche, et de l'actrice iranienne Soheila Golestani, à droite, le 24 mai 2024, au festival de Cannes, dans les Alpes-Maritimes © Sameer Al-Doumy
Le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof brandit les photos de l'acteur iranien Missagh Zareh, à gauche, et de l'actrice iranienne Soheila Golestani, à droite, le 24 mai 2024, au festival de Cannes, dans les Alpes-Maritimes © Sameer Al-Doumy

Le cinéaste Mohammad Rasoulof a transformé le Festival de Cannes en caisse de résonance pour les femmes iraniennes et leur résistance, en fuyant le régime des mollahs au péril de sa vie pour présenter son film en personne.

Le contexte politique de cette projection, ainsi que la force du film, font des "Graines du figuier sauvage", l'un des plus sérieux candidats à la Palme d'or, remise samedi.

"J'espère que tout l'appareil de l’oppression et de la dictature finira par disparaitre en Iran", a déclaré le cinéaste après la projection du film qui a été longuement ovationné. 

Visiblement ému, il a eu une pensée pour "tous ceux qui ont permis que ce film se fasse, ceux qui sont là et ceux qui sont empêchés de venir aussi".

Tourné clandestinement, mais impeccablement réalisé, le film suit pendant 02H45 un enquêteur iranien, qui vient d'être promu magistrat, et des femmes de trois générations: son épouse, leur fille cadette, une étudiante, et la benjamine, adolescente.

Le soulèvement populaire qui a suivi la mort de Mahsa Amini, arrêtée fin 2022 pour ne pas avoir respecté le code vestimentaire islamique, est en toile de fond du film. 

Alors que le père est sommé par les autorités de requérir la peine de mort à tour de bras contre des opposants au régime, ses filles portent secours à l'une de leurs camarades, blessée par la police dans une manifestation.

Rasoulof a dit avoir eu l'idée du film en prison, quand un gardien lui offert un stylo. Un geste qu'il a d'abord trouvé suspect, avant que son geôlier évoque ses pensées suicidaires, face au regard et aux questions de ses enfants.

"C'est là que j'ai eu l'idée de ce film. Je donnais peut-être une chance sur dix que le film se fasse un jour. Aujourd'hui, il s'est fait grâce à vous".

L'exil ou la prison

Après la corruption dans "Un homme intègre" (2017) puis la peine de mort dans "Le diable n'existe pas", Mohammad Rasoulof a brûlé ses derniers vaisseaux avec ce réquisitoire contre l'arbitraire et la violence du régime. Il était parvenu à garder le secret sur le sujet exact de son film, qui intègre des images amateur de la répression du mouvement "Femme, vie, liberté".

Avant sa présentation, il n'avait dont plus d'autre choix que l'exil ou le retour en prison.

Il y a encore quinze jours, personne n'aurait imaginé ce grand nom du cinéma iranien qui a bravé pendant des années la censure, et a été condamné en appel à huit ans de prison dont cinq applicables, fouler le tapis rouge.

Au prix d'une dangereuse fuite à travers les montagnes, qui l'a conduit jusqu'en Europe, Rasoulof a finalement pu gagner Cannes. 

Il était accompagné de sa fille Baran, qui avait reçu l'Ours d'or à Berlin à sa place il y a quatre ans.

Sur le tapis rouge, il a brandi les photos de deux de ses acteurs principaux, Missagh Zareh et Soheila Golestani, le père et la mère dans le film.

Soutien

En l'accueillant en personne, le 77e Festival envoie un signal "à tous les artistes qui, dans le monde, subissent violences et représailles dans l'expression de leur art", a souligné le délégué général du festival, Thierry Frémaux, à l'AFP. Et, plus largement, aux opposants au régime en place en Iran, où la répression ne cesse de s'accentuer. 

Amnesty International affirme que l'Iran, secoué par un mouvement de contestation fin 2022 après la mort de la jeune Mahsa Amini, a exécuté 853 personnes en 2023, le nombre le plus élevé depuis 2015. 

Les cinéastes sont régulièrement accusés de propagande contre le régime, dans un pays où les conservateurs concentrent tous les pouvoirs. Une donne peu susceptible d'évoluer après la mort récente du président Ebrahim Raïssi dans un crash d'hélicoptère.

Les festivals internationaux sont une forme de reconnaissance importante pour les cinéastes iraniens aux prises avec le régime, à l'image de Jafar Panahi ("Taxi Téhéran") ou Saeed Roustaee ("Leila et ses frères"), régulièrement sélectionnés, malgré la répression qu'ils subissent.

Outre "Les graines du figuier sauvage", le jury présidé visionne également vendredi le dernier des 22 opus de la compétition, "La plus précieuse des marchandises", de Michel Hazanavicius ("The Artist"), film d'animation évoquant la Shoah. 

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