Seuils sociaux : quand la loi tue l’emploi en étouffant l’entrepreneuriat

Guillaume Cairou,
président du Club des entrepreneurs

Abruptement. C’est ainsi que la CGT a annoncé qu’elle ne négociera “rien” sur les seuils sociaux, dont il est prévu que nous débattions à la rentrée avec les partenaires sociaux. Comment comprendre ce refus de la discussion ab initio dans le pays des Lumières ? Je considère qu’il n’existe ni faux débats, ni mauvais débats… Encore plus quand il s’agit de ce qui entrave potentiellement le développement de mon entreprise.
Le débat sur les seuils sociaux est aujourd’hui une occasion concrète pour la France d’enclencher le mouvement de croissance dont nous avons tous besoin. Pourquoi ? Parce que ce cycle de croissance s’initierait à partir de ces plus petites entreprises qui composent la majorité du tissu entrepreneurial français. Je suis favorable à la suppression de tout le carcan législatif et réglementaire qui se voulait protecteur d’emplois, mais qui s’est révélé particulièrement destructeur d’emplois. C’est parce que ces seuils sociaux bloquent l’embauche que nous, entrepreneurs, en réclamons le relèvement qui déclenchent une avalanche de cotisations et d’obligations sociales.

50 salariés, 60 normes. A titre d’illustration, le recrutement d’un cinquantième salarié déclenche l’application de plus de 60 normes. Ces seuils apparaissent aujourd’hui totalement déconnectés des réalités économiques actuelles et des bouleversements suscités par la mondialisation des échanges économiques. Ils sont inadaptés à la compétition économique internationale. Comment, dès lors, se soustraire au questionnement ? Comment, dès lors, ne pas comprendre que ces seuils sociaux sont des repoussoirs à l’embauche ? Tel l’épouvantail pour les oiseaux qui est tantôt un repoussoir, tantôt un perchoir, on a trop longtemps fait croire aux Français que les seuils sociaux pourraient constituer un perchoir pour les salariés. Ils se sont révélés être des repoussoirs à salariés.
La foule de contraintes associées aux seuils rendent leur franchissement si difficile que la plupart de nos entrepreneurs sont aujourd’hui à la tête de cinq entreprises de 9 salariés chacune. Je ne compte plus les entreprises qui sont potentiellement nos champions de demain, mais qui sont entravées dans leur développement en devant se brider à 9 ou 49 salariés. Un constat aussi frappant que révélateur, surtout au regard de la faiblesse de notre tissu entrepreneurial qui est composé à plus de 98% de TPE-PME. Il faut bien mesurer que la France ne compte qu’à peine 500 entreprises de plus de 2 000 salariés sur son territoire. Non seulement l’accumulation des réglementations multiples liées au franchissement de certains seuils d’effectif salarié constitue le frein principal à la croissance des petites entreprises, mais surtout cette accumulation explique la particularité française d’un paysage entrepreneurial marqué par une très forte proportion de très petites entreprises et une très faible proportion d’entreprises de taille intermédiaire.

Réduire les obligations administratives. Revenir sur ces seuils sociaux est indispensable si l’on veut que les PME françaises grandissent, créent des emplois et gagnent des parts de marché à l’international. Tout ce qui peut concourir à faire sauter ces verrous à l’entrepreneuriat et à la croissance ne doit-il pas être tenté ? Le passage de seuil de salariés entraîne nécessairement un surcoût qui fait hésiter un entrepreneur à embaucher. Même sans aller jusqu’à supprimer immédiatement ces seuils, il convient de réduire au moins de moitié le nombre d’obligations administratives liées aux seuils sociaux.
Les PME françaises peuvent prendre plus de poids dans l’économie, encore faut-il leur en donner la possibilité. Revoir le cadre législatif des seuils sociaux, c’est offrir souplesse et sécurité à l’entreprise et au salarié. Qui peut être sérieusement contre ? Nous avons salué l’annonce d’un moratoire accompagné du gel des seuils sociaux qui constituait un premier pas positif vers le monde de l’entreprise, d’abord et avant tout parce que cette mesure devrait permettre au moins 150 000 embauches dans les PME proches des seuils. Certains rapports évoquent même la possibilité de créer 300 000 emplois. Nous avons vécu les derniers propos du Premier ministre lors du campus du Medef comme un formidable ballon d’oxygène. Enfin, si ces propos se concrétisent dans des actes, nos entreprises vont pouvoir commencer à embaucher comme elles l’entendent pour développer leurs projets. Derrière tout ce qui sera fait pour nos PME, il y a l’emploi et donc la croissance à terme. Une piste intéressante à suivre, d’autant qu’elle peut être suivie par voie d’ordonnances, est de faire en sorte que tout nouveau salarié en 2014 et 2015 ne soit pas pris en compte dans le calcul des effectifs définissant les seuils sociaux dans les entreprises. Et puis, au fond, disons-nous les choses franchement : quel est le risque ? Si la mesure s’avérait inefficace, elle serait facilement réversible.
Il faut savoir que les seuils sociaux n’existent pas en Allemagne, ce qui permet d’expliquer en partie le développement rapide des PME outrerhin. Relever les seuils sociaux dans notre pays, ce n’est rien de moins que de permettre l’émergence des grosses PME qui font la force des économies allemande et nord-américaine. Il est temps de lever les entraves au développement des PME qui constituent le plus important gisement d’emplois en France. L’élévation des seuils aiderait nos PME à grossir et à devenir plus compétitives. Cette mesure ne coûterait quasiment rien et rapporterait au contraire plusieurs milliards d’euros aux organismes sociaux qui sont aujourd’hui déficitaires.
Ayons l’ambition d’agir en profondeur sur le financement des plus petits projets, la fiscalité de nos PME et les relations de l’entreprise avec la puissance publique et nous réussirons à initier ce mouvement vers la croissance que nous cherchons tous. La plupart des mesures que nous appelons de nos vœux, à l’image du gel ou de la revalorisation des seuils sociaux, sont indolores pour le budget de la France et pourtant susceptibles de créer de la valeur et des emplois. Dès lors, ne pas revenir sur les seuils sociaux, c’est adopter une position de non-assistance à économie en danger.

Labyrinthe administratif. Pour avoir une idée du labyrinthe administratif et du carcan règlementaire qui s’impose aux entreprises, voici une liste non exhaustive des obligations auxquelles les entrepreneurs sont soumis en termes de droit social, sans prendre en compte les charges fiscales :
– versement mensuel des cotisations de sécurité sociale, au lieu d’un versement trimestriel (selon effectif au dernier jour du trimestre précédent),
– obligation de versement d’une aide au transport dans les zones géographiques soumises (article L. 2333-64 du code général des collectivités territoriales),
– prise en charge partielle de la formation économique, sociale et syndicale,
– hausse du taux de cotisation pour la formation professionnelle continue de 0,55% à 1,05% (seuil dépassé en moyenne sur 12 mois),
– versement d’une indemnité minimale de 6 mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle ou sérieuse,
– obligation d’organiser l’élection d’un délégué du personnel sans obligation de résultat (seuil dépassé pendant 12 mois consécutif au cours des trois dernières années) ; le délégué dispose d’un crédit de dix heures par mois pour ses activités de représentation,
– cotisation au Fonds national d’aide au logement (effectif au 31 décembre),
– obligation d’avoir un règlement intérieur,
– obligation de travail des handicapés (effectif au 31 décembre de l’année précédente, délai de trois ans après le franchissement du seuil),
– participation à la construction : 0,45% du montant des rémunérations versées au cours de l’exercice écoulé,
– hausse du taux de cotisation pour la formation professionnelle continue de 1,05% à 1,60% (seuil dépassé en moyenne sur 12 mois),
– repos compensateur obligatoire de 50% pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de 41 heures par semaine et de 100% (au lieu de 50%) pour les heures effectuées au-delà du contingent,
– obligation de réfectoire si demandé par 25 salariés,
– collèges électoraux distincts pour l’élection des délégués du personnel ; augmentation du nombre de délégués à partir de 26 salariés,
– possibilité de désignation d’un délégué syndical (seuil dépassé pendant 12 mois consécutifs au cours des trois dernières années,
– obligation de mettre en place un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de former ses membres (seuil dépassé pendant 12 mois au cours des trois dernières années),
– obligation de mettre en place un comité d’entreprise avec réunion au moins tous les deux mois (seuil dépassé pendant 12 mois au cours des trois dernières années),
– affichage de consignes d’incendie dans les établissements où sont réunis plus de 50 salariés,
– obligation de la mise en place d’une participation aux résultats (seuil dépassé pendant 6 mois au cours de l’exercice comptable, délai d’un an après la fin de l’exercice pour conclure un accord),
– obligation de recourir à un plan social en cas de licenciement économique concernant 9 salariés et plus.
Seuils relevant des règles comptables. Au-delà de 50 salariés, le nombre de représentants du personnel augmente régulièrement, mais on n’observe plus de seuil significatif jusqu’à 150 salariés (réunion mensuelle du comité d’entreprise). Pour les seuils relevant des règles comptables, les obligations dépendant de l’effectif salarié sont les suivantes :
– perte de la possibilité d’une présentation simplifiée du bilan et du compte de résultat (également si le CA excède 534 000 € ou si le total du bilan excède 267 000 €, règle applicable en cas de dépassement du seuil deux années consécutives),
– perte de la possibilité d’une présentation simplifiée de l’annexe n°2 des comptes (également si le total du bilan excède 2 M€ ou si le CA excède 4 M€),
– obligation pour les SARL, les SNC, les sociétés en commandite simple et les personnes morales de droit privé de désigner un commissaire aux comptes (également si le total du bilan excède 1,55 M€ ou si le CA est supérieur à 3,1 M€, règle applicable dès l’exercice en cours).

Guillaume Cairou
PDG fondateur du groupe Didaxis (créé en 2004, Didaxis est l’un cinq premiers acteurs français du portage salarial dans les métiers du conseil, de l’ingénierie et de la formation professionnelle), membre de la Chambre de l’ingénierie et du conseil de France (CICF) et mentor à la chambre de commerce et d’industrie de Paris, Guillaume Cairou a créé le Club des entrepreneurs en 2008. Avec pour objectif de promouvoir l’esprit d’entreprise, ce club compte 18 500 membres et organise de nombreux ateliers thématiques en France. www.clubdesentrepreneurs.org