Renault Maubeuge : le site sauvé au moins jusqu’en 2023

La grève est terminée sur le site de Maubeuge. Un accord a été trouvé suite au déblocage par Bercy d’un prêt de 5 milliards d’euros en faveur de la marque au losange. Si les syndicats se disent rassurés, la restructuration du groupe risque de se poursuivre tant la marque, déjà en difficulté, a souffert des conséquences de la crise sanitaire.

Le site de Maubeuge a produit 150 000 véhicules en 2019. © Denis Meunier - Groupe Renault
Le site de Maubeuge a produit 150 000 véhicules en 2019. © Denis Meunier - Groupe Renault

Mercredi 3 juin, le va-et-vient des salariés et le bruit des machines ont repris peu à peu à l’usine de Renault Maubeuge. Fini le mouvement de grève car il n’est plus question de délocalisation… et l’avenir du site est assuré au moins jusqu’en 2023, voire au-delà. Pourtant, il y a encore quelques jours, la situation s’était beaucoup tendue. Depuis vendredi 29 mai, les salariés manifestaient contre la délocalisation de la construction des utilitaires Kangoo électriques (XFK) à l’usine de Douai à environ 70 km de là. L’objectif de Renault était alors d’en faire «un pôle d’excellence optimisé des véhicules électriques et utilitaires légers dans le Nord de la France.» Jérôme Delvaux (syndicat CGT Maubeuge) témoigne : «il y a quelques jours tous les salariés se voyaient au chômage ou licenciés d’ici à 2023. Renault voulait uniquement conserver l’atelier de presse qui représente seulement 300 salariés sur les 2 100 employés actuels. Tout le monde s’est mis en grève.»

5 milliards d’euros pour sauver le site

Face à cette situation de crise, l’Etat, principal actionnaire de la marque au losange (15% du capital), se devait d’intervenir. C’est pourquoi, les représentants syndicaux, les élus politiques, les dirigeants de Renault se sont réunis à Bercy autour de Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances, afin de trouver un accord sur l’avenir du site Renault Maubeuge. Après 1h30 de discussions, les syndicats ont obtenu de la part des dirigeants, le maintien jusqu’en 2023 des 2 100 salariés du site (1 600 CDI et 500 contrats intérimaires). Et la promesse d’un nouveau projet pour le site au-delà de 2023 qui sera en discussion dès la semaine prochaine.

Pour financer ce sauvetage, Bruno Le Maire a dû mettre la main à la poche. Bercy a ainsi débloqué un prêt colossal de 5 milliards d’euros. Cette garantie de l’État à 90% a immédiatement rassuré les marchés financiers. L’action du constructeur a gagné près de 6,5 points, signant la plus forte hausse au CAC 40 du moment.

Les syndicats rassurés mais vigilants

Les représentants syndicaux estiment avoir gagné une bataille grâce aux mobilisations, mais promettent qu’ils continueront d’être vigilants. Ils ont vécu l’annonce de la fermeture du site de Maubeuge – qu’ils considèrent comme l’usine la plus compétitive avec ses 150 000 véhicules produits en 2019 – comme une trahison. «Pourquoi ce serait les premiers de la classe qui auraient le bonnet d’âne ?» ironise Jérôme Delvaux, qui soupçonne toutefois qu’il est plus facile de fermer une filiale comme l’usine de Maubeuge, qu’un site Renault comme celui de Douai. 

Pourtant, les dirigeants de Renault affirment que rien n’était prévu : «Ce prêt n’avait pas lieu d’être avant la crise liée au Covid-19, a soutenu Jean-Dominique Sénard, président du conseil d’administration de Renault. Mais depuis tout a changé.»

La crise sanitaire seule responsable ?

Un point de vue qui n’est pas partagé par les syndicats. Pour eux, Renault n’est pas dans le rouge uniquement depuis la crise sanitaire. Pour preuve, dès février, la direction a déjà évoqué la possibilité de fermer des sites en France comme à l’international lors de la présentation des résultats annuels. «Nous n’avons aucun tabou et nous n’excluons rien», avait alors déclaré la directrice générale par intérim, Clotilde Delbos.

Les syndicats pointent les mauvais choix stratégiques de la marque. Manque de renouvellement des gammes, laborieuse entrée sur le marché du haut de gamme et délocalisations multiples (notamment avec l’envoi de la construction de la Mégane en Espagne ou de la Twingo en Slovénie) auraient fragilisé le constructeur. De plus, actionnaire à 43% de son allié japonais, Renault a vu la contribution de Nissan réduire de 1,27 milliard d’euros et ne s’élever qu’à 242 millions d’euros l’an dernier. Le partenaire nippon continue de revoir ses perspectives à la baisse et Renault en souffre. D’autre part, le constructeur met en avant les urgences de transformation automobile liées à la transition écologique qui pèsent dans ses comptes, suite au vote de la réglementation européenne sur le CO2.

Les représentants syndicaux estiment avoir gagné une bataille grâce aux mobilisations, mais promettent qu’ils continueront d’être vigilants. © Denis Meunier – Groupe Renault

Un plan de réduction des coûts fixes

Bien sûr, la crise sanitaire du Covid-19 n’a fait qu’empirer les choses avec une production mise à l’arrêt et un effondrement brutal des ventes. De quoi pousser l’entreprise à accélérer sa transformation. Ainsi, Renault a annoncé le vendredi 29 mai, son plan de réduction des coûts fixes et la suppression de 4 600 emplois en France (sans aucun départ forcé, selon la direction). L’objectif : 2,15 milliards d’euros d’économie annuelle. Pour être plus précis, Renault réduira ses capacités de productions de quatre millions de véhicules en 2019 à 3,3 millions en 2024. Autrement dit, les réductions de coûts se feront à hauteur de 650 millions d’euros, en adaptant l’appareil industriel du groupe et 800 millions d’euros d’économies sont prévues au niveau de l’ingénierie, parlant de «l’optimisation de l’utilisation des centres R&D à l’étranger et de la sous-traitance.» De plus, 700 millions d’euros d’économies sont prévues dans les fonctions supports tel que le marketing. Selon une présentation mise en ligne par le constructeur, 30% des réductions de coûts prévues par ce plan seront réalisées dès 2020, 75% en 2021 et la totalité en 2022. 

Et si tout semble rentrer dans l’ordre pour le site de Maubeuge, cet important plan de restructuration pourrait affecter trois autres sites. «Nous ne fermerons qu’un seul site à l’horizon 2022, sur nos quatorze sites industriels en France, a assuré Jean-Dominique Sénard. C’est Choisy-le-Roi (dans le Val-de-Marne, ndlr), pour lequel nous allons valoriser les compétences en région parisienne.». L’avenir des sites de la Fonderie de Bretagne de Caudan (Morbihan) et de l’usine Alpine de Dieppe (Seine-Maritime) reste quant à lui incertain. Il est certain que l’été de Luca de Meo, nouveau directeur général de Renault qui entrera en fonction en juillet, ne sera pas de tout repos.