Economie

Quand le marché de l’emploi se retourne en France

Dans une Union européenne (UE) en perte de compétitivité, le marché de l’emploi en France s’est retourné plus brutalement que prévu en 2024, ce qui rend l’objectif de plein-emploi d’Emmanuel Macron quasiment inatteignable.


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« À modèle social constant, on n’arrivera pas au plein-emploi en 2027 ». C’est la sentence prononcée par Bruno Le Maire, en mars 2024, alors qu’il était encore ministre de l’Économie. Depuis, entre destructions d’emplois non compensées par suffisamment de créations et envol des plans sociaux, le marché de l’emploi s’est bel et bien dégradé, bien plus rapidement et brutalement qu’anticipé. Dans ces conditions, atteindre le plein-emploi en 2027 — un taux de chômage de 5 % de la population active, selon Emmanuel Macron — demeurera très certainement un vœu pieux.

Difficultés au sein de l’UE, malgré un taux de chômage bas

Au sein de l’UE, le taux de chômage corrigé des variations saisonnières reste à un niveau bas de 5,9 %, en décembre 2024, contre 6,0 % un an auparavant. Hélas, comme toujours en Europe, cette moyenne cache de fortes disparités entre les pays, avec d’un côté l’Allemagne (3,4 %) et les Pays-Bas (3 %) et, de l’autre, la France (7,8 %), la Suède (8,5 %) et l’Espagne (10,6 %). Quoi qu’il en soit, aborder l’emploi sous le seul angle du chômage est trop réducteur, puisque cela revient à occulter les questions de qualité de l’emploi, de niveau de rémunération, de productivité du travail, de déclassement professionnel…

Durant la pandémie, nombre d’entreprises ont ainsi choisi de garder leurs salariés, malgré la crise, afin de ne pas se retrouver en pénurie de main-d’œuvre compétente lors de la reprise, donnant dès lors l’illusion d’un marché de l’emploi au beau fixe. Mais, comme la reprise a fait long feu dans de nombreux secteurs, dont l’automobile, l’ajustement n’en est que plus violent à présent. Et c’est peu dire que tous les pays de l’UE font également les frais de la crise du modèle économique allemand.

Par ailleurs, alors que la productivité du travail est globalement mal orientée au sein de l’UE, elle baisse carrément en France et en Allemagne. Cela signifie que pour augmenter la production de biens et services, il faut davantage de main-d’œuvre. Cette bonne nouvelle de court terme cache, hélas, un grave problème à long terme. En effet, si les gains de productivité demeurent faibles, alors la croissance de l’économie restera en berne, d’autant que la démographie est mal orientée. Subséquemment, les augmentations de salaire et les créations d’emplois seront tôt ou tard réduites à peau de chagrin.

Et depuis le 20 janvier, c’est une incertitude nommée Trump qui fait peur aux Européens, ce dernier n’hésitant pas à menacer certains pays, tout en cherchant concomitamment à attirer leurs investissements.

Recherche désespérée du plein-emploi en France

En France, toute tension temporaire et sectorielle sur le marché de l’emploi est qualifiée à tort (et à travers) de « plein-emploi », ce qui permet à certains de se payer de mots à défaut d’actions. Toujours est-il qu’au troisième trimestre 2024, le nombre de chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT) a atteint 2,3 millions de personnes, soit 7,4 % de la population active. Et la tendance est à l’augmentation, comme le montre la hausse de 3,9 % du nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A (sans emploi et en recherche active) à France Travail, sur le dernier trimestre de 2024.

Certes, la conjoncture est mauvaise en France et l’incertitude politique depuis la dissolution n’arrange pas les affaires des entreprises. Néanmoins, il serait faux de lui attribuer tous les maux dont souffre l’économie, tant les nuages noirs s’amoncelaient déjà depuis des années. En revanche, l’assainissement des finances publiques, qui relève de la quadrature du cercle, pèsera inévitablement sur l’activité et donc l’emploi durant les prochaines années, contrairement aux propos lénifiants du gouvernement.

Mais, l’économie française souffre avant tout de problèmes structurels (taux d’emploi faible, rémunérations peu attractives, inflation de normes et de bureaucratie, désindustrialisation…), que la politique de l’offre menée par le président Macron depuis 2017 a cherché à corriger. Hélas, pas toujours de façon heureuse, puisque certains se sont sentis négligés au profit des autres, le tout avec une efficacité parfois discutable, surtout en regard de son coût faramineux pour les finances publiques. En particulier, les gouvernements successifs ont sans cesse réformé l’indemnisation du chômage, la retraite et l’apprentissage, dans l’espoir d’un meilleur appariement entre offre et demande sur le marché de l’emploi, sans comprendre que certaines offres, au vu des conditions proposées, n’ont aucune chance de trouver preneur. D’où également la fuite des cerveaux attirés par de bien meilleures conditions de travail aux États-Unis ou en Suisse.

Dans ces conditions, le problème n’est pas tant de faire travailler plus les Français, mais de mieux les former, afin qu’ils soient plus productifs, bien rémunérés et capables de retrouver un emploi de qualité en cas de licenciement. Les recettes supplémentaires de cotisations sociales qui en découleraient contribueraient d’ailleurs grandement à rééquilibrer les comptes de la Sécurité sociale…