Quand Auchan réinvente Auchan

Auchan Retail France - 37% de l'activité d'Auchan Holding - accélère sa réorganisation sous la marque unique Auchan pour devenir la première marque «phygitale» de France.Son président exécutif Patrick Espasa a présenté les contours de son projet, soumis à la procédure d'information-consultation des représentants du personnel.

Patrick Espasa, président exécutif Auchan Retail France.
Patrick Espasa, président exécutif Auchan Retail France.

 

D.R.
Patrick Espasa, président exécutif Auchan Retail France, et Emmanuel Zeller, directeur de la communication Auchan France.

 

Nommé le 23 octobre 2015 à la présidence exécutive d’Auchan France Retail lors de la mise en place de la nouvelle gouvernance d’Auchan Holding – ex-Groupe Auchan –, Patrick Espasa aura attendu le 2 mars 2017 pour prendre la parole et «présenter le résultat de (son) travail collaboratif (…) qui se traduit par un des projets les plus ambitieux de la belle et longue histoire d’Auchan». Un projet «moderne, innovant et dynamique» qui est celui du déploiement d’une marque unique en France et qu’il a explicité, avant de le faire devant la presse, à l’ensemble des partenaires sociaux, puis aux dirigeants et collaborateurs du groupe. Devant ces trois publics, il a lu la «lettre d’intention» qui constitue la charpente de la nouvelle «grande et belle ambition pour Auchan Retail France».

À la base du projet Espasa , «une nouvelle vision du commerce pour les dix prochaines années», qui s’appuie sur plusieurs constats : les nouveaux modes de consommation qui ont transformé le client Auchan en «client unique omnicanal , c’est-à-dire digital et multiformat», l’émergence de nouveaux acteurs déployant de nouveaux modèles de distribution qui obligent les acteurs historiques à se remettre en question et, enfin, la nécessaire mise en cohérence d’Auchan Retail France avec la stratégie de gouvernance par pays «qui doit permettre, a-t-il rappelé, à notre marque de s’affirmer comme l’un des trois acteurs majeurs de la distribution partout dans le monde. C’est avec cette ambition forte que nous allons réinventer Auchan Retail France», avec bien sûr en filigrane la volonté de «retrouver une croissance durable».

Une marque unique. Pour y parvenir, Patrick Espasa a énoncé deux grands principes : «modernisation et simplification». Au niveau de l’offre d’abord, qui se doit d’être pertinente autour de cinq attributs – «exigence de qualité, moins cher pas cher, attractivité, commerçant passionné et au service du client» –, avec, «pour servir un client unique, une marque unique», l’idée étant que, quel que soit le parcours d’achat (centre-ville, périphérie, retour du travail ou de l’école, Internet), «notre client s’adresserait à une seule et même marque, multiformat et digitale. Partout il serait chez Auchan».

Ce projet de passage sous la marque historique du format hypermarché, Auchan, n’attendra pas. Le projet prévoit ainsi la bascule en moins de douze mois des 256 supermarchés Simply Market et magasins d’ultra-proximité A2Pas détenus en propre respectivement aux enseignes Auchan Supermarché et MyAuchan, avec la possibilité pour les franchises de se voir proposer la même évolution. De son côté, le site auchan.fr, «porte-drapeau des nouvelles enseignes», est appelé à «confirmer son ambition de commerçant on-line en devenant le portail unique de la marque et des autres activités e-commerce comme Auchandirect“. De même, est annoncée la poursuite de la convergence du format drive qui, avec Chronodrive (7,6 M€ de chiffre d’affaires) et Auchandrive (7,1 M€) présente les meilleures performances du marché. “En termes de politique de convergence, a-t-il été indiqué, la cible, c’est Auchandrive. Nous avons lancé une étude de benchmark entre les deux enseignes pour améliorer la performance et allons nommer un patron du format drive qui aura la charge des deux enseignes qui deviendront un réseau.»

Une centrale d’achat revue. En même temps qu’Auchan Retail France s’apprête à «fermer la parenthèse sur les formats et les enseignes», Patrick Espasa a annoncé travailler depuis septembre 2016 avec les groupes Système U et Schiever depuis septembre 2016 à «bâtir la première centrale d’achat en France», dont le nom sera Alliance. Les discussions ont ici porté sur «l’indispensable, la convergence à l’achat des grands fournisseurs de produits marchands et non marchands», avec la volonté de normaliser et de pérenniser la situation, d’où la création de cette structure à trois actionnaires qui aura son siège à Lille.

1,3 M€ d’investissements sur trois ans. Pour mener à bien ces ambitions de développement qui demandent «de nous adapter, de faire évoluer notre organisation pour la rendre plus fluide», Patrick Espasa projette «des investissements très importants en France pour une valeur historique de 1,311 M€ sur trois ans » (2017-2019), à 90% vers des entreprises françaises. Un montant qui est supérieur de 30% à la tendance moyenne des dernières années. Une part significative – 60% de ce montant, 785 M€ – doit aller à la modernisation des magasins, dont 200 M€ pour la transformation des hypermarchés et 10% consacrés au cadre et à l’amélioration des conditions de travail, et 11%, soit 143 M€, au digital, (111 M€ dans l’informatique-logistique). Une enveloppe de 20 M€ est aussi prévue pour la modernisation-extension du site de Villeneuve-d’Ascq qui doit accueillir les services d’appui modernisés et rassemblés en une équipe unique pour apporter un cadre de travail optimisé, pratique et confortable, ainsi que l’ouverture d’un magasin sous marque Auchan.

Une création nette de 300 emplois. «Ce projet, nous allons le construire et le ferons. (…) Nous voulons qu’il soit au final créateur d’emplois et il le sera.» Déterminé, Patrick Espasa l’est. Avec les partenaires sociaux, il est entré dans le temps de la consultation et de la négociation collective qui «sera menée dans la tradition du dialogue social chère à l’entreprise et en cohérence avec ses valeurs, confiance, ouverture, excellence». Et d’expliciter : «Outre les 6 500 embauches annuelles pour maintenir nos effectifs, ce projet doit permettre une création nette d’au moins 300 nouveaux emplois sur 2017. Ils compenseront les diminutions dans les services d’appui dues au regroupement des équipes des différents formats. (…) L’entreprise prend l’engagement de trouver une solution personnelle et professionnelle à chaque collaborateur concerné.» Il promet «temps et moyens nécessaires ainsi qu’un accompagnement très complet individualisé, focalisé sur le maintien à l’emploi avec l’aide d’un cabinet spécialisé».

S’il n’est pas question de toucher aux équipes commerciales d’animation en magasins, la création d’une équipe unique de services d’appui à Villeneuve-d’Ascq doit toucher principalement les services marketing, finances, achat, répartis à travers la France et principalement à Jouy-en-Josas. «Nous avons 32 sites de services d’appui déployés en province. Une grande majorité restera, car ce sont des sites de proximité. Il n’y a pas de légitimité à ramener la DG du Sud dans le Nord (…). Le principe méthodologique est qu’il n’aura aucune fermeture de sites en 2017-2018. Nous nous sommes fixé 2019 pour la construction de notre ambition», précise Patrick Espasa qui annonce le resserrement des structures juridiques du groupe. «Nous avons aujourd’hui 55 sociétés juridiques. Nous passerons à 22 d’ici l’année prochaine et avons un objectif à moins de 10. Evidemment qu’avec une seule marque, une seule enseigne (11 aujourd’hui) et 55 sociétés, il y aura une mutualisation de certains services de back office et, à terme, la fermeture de sites physiques de coquilles vides.»

Au 31 décembre 2016, l’ensemble des services d’appui d’Auchan Retail France totalisait 2 800 salariés sur un effectif global de 72 950. Dans un communiqué, Auchan Retail France a «confirmé la création de plus de 780 emplois en magasins (…) et la réduction de 462 postes en services d’appui, notamment sur les sites de Jouy-Viroflay et Villeneuve-d’Ascq (…). Dans les Hauts-de-France, 475 postes seraient créés dans des nouveaux métiers et 276, supprimés, (soit) 199 postes nouveaux sur le nouveau campus 3.0 de Villeneuve-d’Ascq». Rendez-vous le 31 décembre 2017 pour un premier bilan.

«Réinventer Auchan». Confiant dans son projet et dans l’adhésion des collaborateurs, Patrick Espasa est convaincu, achevant sa «lettre d’intention» par un : «Nous avons dans notre ADN de commerçant innovant tous les atouts et les moyens pour réussir avec vous cette transformation ambitieuse afin de pérenniser notre entreprise. Dirigeants, managers, collaborateurs, ensemble nous allons réinventer Auchan.»

Les éléments porteurs de confiance dans ce projet ne manquent sans doute pas. Patrick Espasa a ainsi évoqué les premiers succès des prises d’enseigne Auchan Supermarché à Saint-Germain-les-Corbeil, Orchies et Gisors depuis le début de l’année et MyAuchan à Paris Vaugirard en novembre 2016. Citant ici les 11 embauches à l’ouverture de Saint-Germain-les-Corbeil, là la progression supérieure à 20% de la réouverture sous MyAuchan ou encore la montée en puissance de l’entrepôt automatisé «Paris 300» de picking et de préparation à l’unité de Chilly-Mazarin, mais aussi sa décision d’organiser sur Paris une gouvernance unique autour d’une convergence physique et digitale… Au global, de quoi être persuadé du bien-fondé de son projet : «Le client devenu omnicanal passera d’un format physique à un format digital en permanence en fonction de là où il est, de ce qu’il veut et quand il le veut. Auchan se propose d’être la première enseigne phygitale de France et a tous les moyens de l’être. MyAuchan, première marque phygitale, c’est le mariage entre le physique et le digital, la marque et le projet d’Auchan pour demain. (…) Avec le digital qui transverse par rapport au physique, Auchan a les moyens» de réussir son redéploiement et son ambition.

 

ENCADRE

 

Hôtesses de caisses et nouvelles technologies

 

«Notre population d’hôtes et hôtesses de caisse n’a pas varié depuis 10 ans – 10 503 en 2016 – et pourtant nous avons installé 1 633 caisses assistées.» Patrick Espasa a répondu à ceux qui craignent les effets de la multiplication des caisses automatiques. «Les premiers, nous avons inventé le SBAM, l’ensachage, les caisses panier, Aujourd’hui, à Meaux fonctionne un check-up avec un tunnel et 4 caméras 3D qui filment le produit et en rendent le prix par mémorisation… On n’a pas le droit de ne pas être à l’écoute des nouvelles technologies au service de la relation client et du projet humain d’Auchan. Si demain je pouvais enlever la responsabilité de l’encaissement, qui représente 30% du temps de passage et 100% du stress de nos hôtesses, je serais un homme heureux. Ce temps-là irait à la relation client, à la relation commerçant… Avec notre projet ‘Relation caisses’, notre réflexion porte sur le poste de travail, le paiement et la création de valeur. Nous avons une conviction : beaucoup moins dans la manutention, beaucoup plus dans la relation lors du passage en caisse.»