Projet de loi climat : Pourquoi ce décalage avec les attentes de la Convention citoyenne ?
Entre les objectifs du Gouvernement et les critiques des ONG et de la Convention citoyenne climat, ce projet de loi cristallise le décalage entre les attentes du monde politique et celles de la société civile. Mais d’un point de vue juridique que peut-on en penser ? Pourquoi cet écart ? Ce projet de loi peut-il quand même accélérer la transition écologique ? Rencontre avec l'avocate Lou Deldique, du cabinet Green Law à Roubaix, spécialiste du droit de l’environnement.
La Gazette : Pourquoi ne pouvait-on pas reprendre sans filtre les propositions des Citoyens de la Convention climat ?
Lou Deldique : Il faut bien voir qu’elles touchent à des secteurs très variés : le droit de l'urbanisme, le droit pénal, le droit de l’environnement… La difficulté pour le Gouvernement, c'est de traiter la diversité des mesures dans des champs très différents au sein d'un même texte. La deuxième difficulté, c'est qu'il y a des propositions qui auraient peut-être entraîné un changement drastique de nos modes de vie. Cela peut être une des raisons qui ont obligé le Gouvernement à tempérer les attentes de la Convention. D'un point de vue politique, ce projet de loi ne répond peut-être pas aux annonces faites, mais d'un point de vue juridique ce n'est pas inhabituel. Et certainement que le texte adopté par le Parlement fin septembre sera encore très différent.
Certains estiment qu'il y a trop de mesures de procrastination, avec des dates d'entrée en vigueur tardives qui pourraient limiter leur portée. Partagez-vous cette réflexion ?
Oui, et d'ailleurs ça a été pointé par deux avis, celui du Conseil économique social et environnemental du 27 janvier, et celui du Conseil national de la transition écologique du 26 janvier. Ils regrettent que ces mesures soient trop timides, avec des effets différés. Ce n'est pas inhabituel d'un point de vue juridique car il y a un temps d'adaptation des acteurs économiques. Ainsi, l'interdiction de location des passoires thermiques est prévue pour 2028 : il faut bien tenir compte de la situation des bailleurs qui vont devoir procéder à des travaux d'isolation. Mais d'autres mesures sont différées en 2025 ou en 2030. Cette diversité des délais rend ce projet de loi moins lisible. D'autres propositions ont été formulées de façon insuffisamment contraignante, comme la consigne des emballages en verre qui «pourra notamment être généralisée à partir de 2025». Ce genre de libellé rend cette proposition très hypothétique.
Y a-t-il néanmoins des propositions qui permettront de changer en profondeur le droit pour accélérer cette transition écologique ?
L'interdiction de la publicité pour les énergies fossiles est complètement inédite, tout comme l'interdiction de la location des passoires thermiques et le délit général d'écocide. Ce dernier point va nécessiter de modifier une disposition du Code de l'environnement qui concerne le délit de pollution des eaux, pour l'étendre à tout type de pollution, notamment atmosphérique et des sols. Si le texte entérine cette proposition, on va vers quelque chose de nouveau. A l'inverse, certaines mesures ne sont que le renforcement de dispositifs existants déjà, comme la lutte contre l'artificialisation des sols. On est dans l'affirmation d'un principe déjà énoncé depuis les années 1980 dans le Code de l'urbanisme et le Code de l’environnement. C'est bien de l'écrire, mais encore faut-il le mettre en œuvre concrètement !
Ne sommes-nous pas néanmoins dans un processus d'amélioration continue du droit de l'environnement ?
Bien sûr... C'est nécessaire d'étoffer son corpus juridique car c'est une branche du droit récente. Mais la difficulté de ce projet de loi, c'est que nous sommes sur des règles éparpillées sur différents types de législation. C'est assez classique des grands projets de loi que l'on a une à deux fois par an, comme la loi Alur par exemple. Mais cette dispersion complexifie la règle.