Peignage Dumortier fait le pari du made in France rentable et accessible

C'est l'un des derniers peignages indépendants français : Peignage Dumortier, du haut de ses 125 ans, n'a pas cessé d'innover pour maintenir son activité. Son président, Cédric Auplat, mise sur le made in France et prouve que le savoir-faire peut être conservé sur le territoire tout en étant rentable.

Peignage Dumortier, l'un des derniers peignages indépendants français.
Peignage Dumortier, l'un des derniers peignages indépendants français.

La vie de Peignage Dumortier n'est pas un long fleuve tranquille : l'entreprise fondée par la famille Dumortier – Guy, de la quatrième génération, suit encore de près l'histoire de la PME – a connu plusieurs vies. Alors que Roubaix et Tourcoing sont en plein âge d'or du textile et que survient une surproduction de laine à Tourcoing dans les années 1960, Guy Dumortier se lance dans la fibre synthétique. C'est un pionnier à l'heure où la laine vit ses heures de gloire.

Suivront des années difficiles après la crise de 1998 : l'entreprise – dont le métier est de débarrasser des paquets de fibres textiles de toutes sortes d'impuretés – est placée sous la protection du tribunal de commerce de Lille. Cédric Auplat, ingénieur de formation, arrive en 2018 avec un projet de reprise autour de la diversification, de l'écoconception, d'une touche de rev3, et avec la ferme volonté de prouver que le made in France peut être rentable.

90% du chiffre d'affaires à l'export

«On a besoin de se diversifier et d'innover. Aujourd'hui, notre parc de machines et nos salariés polyvalents permettent de passer de la laine au chanvre, en passant par les fibres recyclées», explique le dirigeant. Au total, près de 2 000 recettes différentes de produits. Une fois les matières reçues à Tourcoing, elles sont alignées pour en faire des rubans qui partiront ensuite chez les filateurs pour se retrouver dans l'habillement, l'ameublement, l'automobile, les matériaux... C'est par exemple le cas des tenues de l'Armée ou des articles du Slip Français.

Cédric Auplat a repris l'entreprise en 2018.

La PME d'une soixantaine de salariés exporte 90% de son chiffre d'affaires et produit 4 000 tonnes de matières chaque année. «On arrive au tout début de la chaîne mais on a besoin de tous les membres de la filière.»

La laine et le lin en force

Grâce au plan de relance – 1,2 M€ de subventions de l'Etat, 200 000€ par la Région, sur un projet d'investissement de 3,6 M€ –, Cédric Auplat va moderniser les lignes de production avec des machines dernière génération qui permettront d'améliorer la productivité. Et de remettre au goût du jour la filière laine, à l'image du collectif national Tricolor qui rassemble éleveurs ovins, artisans, manufactures, acteurs de la création, de la distribution, et les territoires pour restructurer la filière.

«Il y a deux ans, nous avions déjà redémarré un atelier de lavage de laine. Et nous travaillons d'ailleurs avec le filateur UTT à Tourcoing sur l'ensemble des marchés des fils à tricoter. Aujourd'hui, la laine est brûlée ou part en Chine parce qu'on a laissé partir les savoir-faire : Peignage de la Tossée, Peignage de Roubaix – jusqu'à 10 000 salariés à la fin des années 90 ! –, tout a fermé !» se désole Cédric Auplat.

«L'idée n'est pas de faire des produits pour les ultra-riches»

Le dirigeant compte bien remettre ces filières à pied d'œuvre : «Quand elles redémarrent, il faut admettre que cela prenne du temps. Bien sûr, cela nécessite de la part des marques des prix plus élevés et une prise de conscience des consommateurs. Mais l'idée ce n'est pas de faire des produits pour les ultra-riches.»

Même combat du côté du lin – 80% de la production mondiale est produite dans les Hauts-de-France –, pour lequel Peignage Dumortier avait initié un atelier de filage avec le filateur Safilin (Sailly-sur-la-Lys) dès les années 90, pour une production de 1 200 tonnes par an.

Malheureusement, avec la perte d'un dernier client, la production a été arrêtée. Mais Cédric Auplat ne compte pas en rester là : «Nous avons conservé l'équipement, on ne part pas de zéro. On pourra produire jusqu'à 800 tonnes de lin chaque année. On n'aurait pas eu les capacités financières de relancer le lin et la laine en même temps ; le plan de relance nous permet d'avancer plus vite.»

En quête de collaborateurs

Pour soutenir ce développement, Peignage Dumortier prévoit de recruter 37 personnes d'ici 2025 et recherche actuellement une dizaine de personnes en maintenance et en logistique. «La France n'est pas qu'un pays de services ! On a besoin de nos usines et il faut qu'y travailler soit noble», ambitionne le dirigeant.

Labellisée "Entreprise du patrimoine vivant" début octobre – elles sont 1 400 entreprises à avoir le précieux label en France –, Peignage Dumortier prouve qu'une entreprise plus que centenaire peut renouveler son modèle pour innover.