Paul Biya, le "sphinx" qui règne sur le Cameroun depuis plus de quatre décennies

Paul Biya, de retour dans son pays lundi après plusieurs semaines d'absence et de rumeurs alarmantes, préside depuis 41 ans aux destinées du Cameroun où ses rarissimes apparitions publiques, son goût du secret et son caractère...

Le président camerounais Paul Biya (g) et son épouse Chantal Biya lors des 52e célébrations de la Journée de l'Unité à Yaoundé, le 20 mai 2024 © -
Le président camerounais Paul Biya (g) et son épouse Chantal Biya lors des 52e célébrations de la Journée de l'Unité à Yaoundé, le 20 mai 2024 © -

Paul Biya, de retour dans son pays lundi après plusieurs semaines d'absence et de rumeurs alarmantes, préside depuis 41 ans aux destinées du Cameroun où ses rarissimes apparitions publiques, son goût du secret et son caractère intraitable lui ont valu d'être surnommé le "sphinx".

Malgré son âge, le plus vieux chef d'Etat du monde n'a pas exclu de se présenter pour un huitième mandat à la prochaine présidentielle prévue en octobre 2025. 

Depuis son accession au pouvoir, le deuxième président du Cameroun depuis son indépendance de la France en 1960 règne d'une main de fer sur son pays, nommant et congédiant lui même sur les postes-clefs, avec une répression implacable de toute opposition, politique ou armée. 

La gestion de celui qui fut longtemps écouté et actif sur la scène diplomatique lui a valu, ces dernières années, d'inhabituelles critiques de l'ONU et de capitales occidentales. Et un certain refroidissement avec Paris alors qu'il est considéré comme un pilier de la "Françafrique".

Depuis sa réélection très contestée en 2018, le chef de l'Etat a limité ses apparitions publiques à de très rares discours télévisés, enregistrés et péniblement énoncés, ponctués de quelques déplacements officiels à l'étranger. Ou sur des images de fêtes de famille, aux côtés de son omniprésente épouse Chantal, célèbre pour ses tenues extravagantes et sa chevelure flamboyante.

Avant son retour à Yaoundé, filmé en direct par la télévision d'Etat CRTV, sa dernière apparition officielle remontait au forum de la coopération Chine-Afrique début septembre 2024.

Ces dernières années, Paul Biya a multiplié les séjours privés à l'étranger, dédiés à des soins ou des villégiature dans un très luxueux hôtel de Genève, où l'opposition l'a accusé de dépenser des fortunes avec sa cour. 

Mais son absence prolongée après son départ de Pékin avait relancé des rumeurs sur sa santé chancelante, certains annonçant même son décès.

En 2018, un consortium international de journalistes d'investigation, l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), évaluait à quatre années et demi en 35 ans la durée cumulée des séjours privés à l'étranger du "Président itinérant" et leur coût total à 65 millions de dollars. 

Violente répression

Même à distance, le chef de l'Etat contrôle collaborateurs, ministres et entourage au point que le sujet de sa succession est tabou.

Ses détracteurs, eux, l'accusent de régner depuis une tour d'ivoire depuis son village natal de Mvomékaa, dans le sud, alors que son pays affronte de multiples défis sécuritaires, économiques et sociaux: 26% de la population vit dans l'extrême pauvreté selon l'ONU et une corruption gangrène l'administration jusqu'au sommet de l'État. 

Sur le plan sécuritaire, l'extrême nord du pays subit depuis 2009 des attaques des jihadistes de Boko Haram ou de l'Etat Islamique en Afrique de l'Ouest (ISWAP). 

Et depuis fin 2016, un conflit meurtrier oppose des groupes armés indépendantistes aux forces de sécurité dans deux régions de l'ouest, 

les ONG internationales et l'ONU accusant régulièrement chaque camp de crimes contre les civils. Le conflit a éclaté après que le président Biya a fait réprimer violemment des manifestations pacifiques de la minorité anglophone. 

Tout en affaiblissant les partis politiques, M. Biya a fait violemment taire toute opposition depuis 2018: il a fait arrêter --et condamner-- des centaines de manifestants pacifiques, dont son rival malheureux à la dernière présidentielle, Maurice Kamto, emprisonné neuf mois sans procès en 2019 et libéré après d'intenses pressions internationales.

En verrouillant le commandement de son armée, confié aux plus proches, en remettant à des Israéliens l'encadrement des troupes d'élite et sa sécurité personnelle, il a intimidé jusqu'au premier cercle.

"Il suffit d'un petit coup de tête, et vous n'êtes plus rien du tout": en tançant ainsi un journaliste vedette de la télé publique qui l'interviewait en 1986, Paul Biya affichait la couleur, deux ans après son accession à la présidence.

Diviser pour régner

Ancien séminariste catholique et étudiant à Sciences-Po Paris, il a gravi les échelons sous son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, pour devenir Premier ministre de 1975 à 1982. 

La Constitution le propulse à la présidence après la démission surprise d'Ahidjo. Il s'y accroche, avec un coup de pouce de Paris selon ses détracteurs.

Seul candidat, il est élu avec 100% des suffrages en 1984, réélu en 1988, puis cinq fois encore après l'instauration du multipartisme en 1990.

Paul Biya "a mis en pratique l'adage +diviser pour régner+ pour rester au sommet", analyse le politologue camerounais Stéphane Akoa.

Il a joué "de la violence et de la terreur, au gré de ses humeurs et des rumeurs, pour asservir ses collaborateurs et soumettre l'ensemble de la population", écrivait, en 2018 Titus Edzoa dans son livre "Cameroun, combat pour mon pays". 

Cet ex-fidèle secrétaire général de la Présidence a passé 17 ans en prison après avoir été arrêté en 1997, officiellement pour corruption, après avoir présenté sa candidature à la présidence.

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