Etude de l’Observatoire des Territoires d’industrie
Pas d’industrialisation sans projet local partagé
La mobilisation des acteurs locaux d’un territoire constitue un socle indispensable à la revitalisation industrielle d’un territoire, d’après l’Observatoire des Territoires d’industrie. Mais les habitants ne sont pas nécessairement partants...
Multiplication des déclarations présidentielles, projet de loi industrie verte présenté par Bruno Le Maire en conseil des Ministres le 16 mai… L’industrialisation constitue le thème du moment. Les ambitions sont affichées, mais encore faut-il réaliser le bon diagnostic et utiliser les leviers adéquats… Le 10 mai dernier, l’Observatoire des Territoires d’industrie rendait publics les résultats de quatre ans d’analyse de dispositifs de redynamisation du tissu industriel. L’Observatoire a été mis en place dans le cadre du programme « Territoires d’industrie », dédié à la reconquête industrielle lancé en 2018 et qui est à l’origine de quelque 1 800 projets (à fin 2021). Frédéric Granotier, président fondateur de Lucibel (fabricant de luminaires Led) et Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen et président de la Métropole Rouen Normandie intervenaient lors de cette présentation.
La bonne nouvelle ? «Il n’existe pas de fatalité, de région où il ne serait pas possible de rien faire», estime Thierry Weil, contributeur de la Fabrique de l’Industrie, laboratoire d’idées qui organisait la présentation. L’étude de l’Observatoire montre en effet que le dynamisme industriel repose sur une série de paramètres. Parmi eux, la spécialisation établie du territoire, mais aussi, «l’effet local». Ce dernier «tient essentiellement à la manière dont les acteurs locaux savent se donner un projet commun», souligne Thierry Weil.
«La spécialisation qui caractérise la structure d’un territoire peut expliquer les performances. Si elle adresse un secteur dynamique, ces dernières seront bonnes. Mais cette spécialisation ne tombe pas du ciel. Elle dépend de l’histoire, de la géographie et de l’environnement socio-économique. Par ailleurs, elle n’explique pas tout. La stratégie des acteurs locaux entre en ligne de compte, car ils agissent et renouvellent les ressources de ces territoires», précise Caroline Granier, cheffe de projet à La Fabrique de l’industrie .
«Il n’est pas vrai que tout le monde veut de l’industrie chez soi»
Parmi les territoires étudiés par l’Observatoire, figure par exemple celui de Cognac (Charente). Une économie s’ y est construite autour de ce produit spiritueux. Elle comprend l’ensemble de la chaîne de valeur (étiquetage,…) dans un écosystème qui compte quatre grands groupes et environ 300 PME qui détiennent un savoir-faire fruit d’une expérience pluriséculaire. «Le territoire actuel a hérité de cette histoire, mais il continue à se renouveler. Il est très dynamique sur l’export qui constitue l’essentiel de son chiffre d’affaires. Le collectif d’acteurs qui se sont réunis dans un syndicat professionnel a entrepris une diversification vers d’autres spiritueux, gin ou vodka, entraînant l’ensemble de l’écosystème. Une Spirit valley est en train de se structurer, qui explique la croissance de l’emploi industriel», ajoute Caroline Granier.
Au delà de cet exemple, l’étude recense d’autres leviers et dispositifs sur lesquels s’appuient les acteurs des territoires pour développer leur industrie. Comme à Cholet : l’Institut de Formation Technique de l'Ouest, école de production spécialisée dans la chaudronnerie forme des jeunes, avec une dimension sociale, et répond aux commandes des industriels locaux. «Ce dispositif entre dans le cadre du programme Territoires d’industrie. Il en existe 55 en France», note Caroline Granier. Autre exemple encore de dispositif, le projet de territoire 2030 de Grand-Orly Seine Bièvre . Une cinquantaine d’acteurs de nature diverse se sont accordés autour d’un manifeste qui détaille objectifs et actions à mener.
Mais quel que soient ces outils, «aucun projet ne peut fonctionner s’il n’existe pas une mobilisation des acteurs autour d’un horizon commun», pointe Caroline Granier. Nicolas Mayer-Rossignol élargit ce propos : parmi les «acteurs» du territoire, il faut bien se garder d’oublier la population locale. «Il n’est pas vrai que tout le monde veut de l’industrie chez soi» met en garde l’élu, évoquant des réunions publiques où les citoyens s’y opposent, et leurs «injonctions contradictoires». Pour lui, il est nécessaire de bâtir une véritable culture, une connaissance partagée à propos de l’industrie, de son fonctionnement et de son rôle sur le territoire.
Marier industrialisation et durabilité
Parmi les autres thèmes explorés par l’étude figure la plus ou moins grande dimension de transition écologique des projets industriels. Officiellement, 7% seulement des projets de Territoire d’industrie sont spécifiquement dédiés à ce sujet. Toutefois, «cela ne reflète pas l’ampleur des initiatives existantes sur les territoires», estime Caroline Granier. De fait, il s’agit d’un sujet de fond qui imprègne nombre de projets territoriaux. En Normandie, l’incendie de l’usine Lubrizol en 2019, au cours duquel plus de 9 500 tonnes de produits potentiellement toxiques avaient brûlé, est resté dans toutes les mémoires.
Aujourd’hui, «cela n’est pas forcément visible, mais cet enjeu de réconciliation entre écologie et économie constitue une tendance forte. Le territoire de la vallée de la Seine fait partie de ceux qui prennent le sujet à bras de corps», explique Nicolas Mayer-Rossignol. Déjà depuis 2018, la Métropole Rouen Normandie avait mis en place une démarche «COP21 Rouen Normandie», en partenariat avec l’Ademe et le WWF France. Dans ce cadre 70 communes et de nombreux acteurs locaux ont signé «L’accord de Rouen pour le climat». Le plan stratégique 2020-2025 du GIE Haropa, qui regroupe les ports du Havre, Rouen et Paris vise la décarbonation de son activité comme enjeu majeur.
Signe de l’attractivité de cet environnement régional, l’entreprise Lucibel a choisi de s’y installer en 2014. Cinq ans plus tôt, Frédéric Granotier avait implanté son entreprise en Chine. A l’époque, «la filière n’était pas présente en Europe», explique-t-il. Toutefois, problèmes d’espionnage industriel, besoins de réactivité et de proximité avec son marché l’ont convaincu de rapatrier son activité. «Nous cherchions un site en France ou proche de la France. Nous avons choisi Barentin, près de Rouen car nous étions ainsi proches du siège social. De plus, nous avons reçu un accueil très chaleureux en Normandie», témoigne l’entrepreneur.
Concrètement, les décideurs politiques se sont impliqués, le bassin d’emploi correspondait à ses besoins, et la reprise d’un site de Schneider Electric constituait une bonne occasion. Au final, Frédéric Granotier a développé de nouvelles activités dans le secteur de la cosmétique par la lumière (avec Dior) qu’il doit à son retour en France. Pour lui, «relocaliser n’est jamais facile, mais c’est possible dans un plus grand nombre de cas qu’on pourrait le penser».