« On se doit de donner aux dirigeants toutes les clés pour qu’ils réussissent »
Jusqu’alors président de la CCI Rouen Métropole, Vincent Laudat a été élu en mars à la présidence de la chambre régionale, succédant à Gilles Treuil. Il nous livre son regard sur la situation économique en Normandie.
Vous prenez la présidence de la Chambre régionale de commerce et d’industrie à un moment un peu charnière pour l’économie. Quelle est la situation des entreprises en Normandie ?
Vincent Laudat, président de la CCI Normandie : Pour pouvoir faire un diagnostic précis, nous avons un baromètre des affaires que nous faisons deux fois par an auprès de 2 300 chefs d’entreprises de notre territoire. Ce qu’il en ressort est une incertitude dans leur activité économique qui conduit à une forme de prudence pour 2024, après un ralentissement fin 2023. Les trois grandes inquiétudes sont sur l’énergie, les matières premières et la baisse de la demande et de la fréquentation.
L’industrie se maintient. La construction, même si nous avons des inquiétudes pour l’avenir, reste un secteur stable. L’activité de services se maintient également, même s’il y a des concentrations dans certaines activités. En revanche, nous constatons une dégradation très importante dans le commerce.
Pour le commerce, justement, quelle est la situation ?
V.L. : Ce secteur est en souffrance. Les grandes chaînes quittent nos centres-villes avec des casses importantes, et le commerce indépendant est confronté aux nouveaux usages : la seconde main et le digital. Nous avons à peu près 8 à 10 grandes agglomérations par département qui font appel à la CCI pour avoir notre observatoire du commerce. C’est un élément de pilotage important pour les présidents de collectivités, pour scruter cette vacance commerciale. Et nous accompagnons, pour notre part, les politiques de relance via les unions commerciales.
Vous n’avez pas évoqué les difficultés de recrutement. Sont-elles derrière nous ? Et voyez-vous d’autres sujets d’inquiétude ?
V.L. : Effectivement, le recrutement n’est plus dans le trio de tête, bien qu’il reste une préoccupation importante. Et il y a un autre sujet relevé par le baromètre des affaires : c’est la première fois que l’élément du foncier rentre dans le panel des inquiétudes. 30 % des chefs d’entreprises disent avoir renoncé à une implantation ou une extension, faute de disponibilité de foncier.
Et même 83 % des chefs d’entreprises ne savent pas ce que c’est que la ZAN (Zéro artificialisation nette, NDLR). Nous avons un gros travail d’information à faire sur cette question. Le gouvernement a voulu, pour les générations futures, une préservation du foncier agricole pour sécuriser l’alimentation. Derrière, il faut que l’activité économique puisse se maintenir et se développer. Il y a un véritable changement de paradigme à faire par rapport à la façon d’implanter l’activité économique, de la densifier. Nous devons le travailler avec nos chefs d’entreprises.
On parle, depuis trois ans, de réindustrialisation du pays. On sait que la Normandie compte en profiter. Concrètement, est-ce que vous la mesurez ?
V.L. : L’attractivité de l’axe Seine ne s’est pas démentie. Les grands projets d’investissement vont se faire sur cet axe, du fait de l’intérêt qu’il présente sur le plan de la mobilité décarbonée. Mais après trois années de récréation nette d’emplois industriels, nous sommes à nouveau dans une année sans création nette au niveau national. Il y a beaucoup de contraintes : sociales, fiscales, d’artificialisation… Et en fin de compte, dans le plan de relance France 2030, les projets qui peuvent être financés concernent l’innovation et la décarbonation. Nous avons un environnement de pays développé qui n’attire pas autant l’industrie que dans d’autres pays ayant moins de règles. Sur la production d’hydrogène et la décarbonation des process chimiques, cela va apporter une avancée. Il y a aussi le projet de grande usine de recyclage des plastiques, ou les belles annonces de Renault pour les usines de Sandouville et de Cléon.
En dehors de cet axe Seine, comment se porte l’industrie ?
V.L. : Nous avons des pépites sur le territoire. Il y a toujours la locomotive du côté de Cherbourg qui fonctionne très bien, grâce à l’activité extraordinaire d’Orano et de Naval Group. Cherbourg est une zone Zéro chômeur, et nous sommes même sur une zone de chômage négatif. Il y a aussi une relance très importante sur le territoire dieppois avec les programmes prévus sur Alpine et, surtout, la relance du nucléaire. Penly, cela va être une véritable locomotive qui va entraîner bien au-delà du territoire dieppois, avec la sous-traitance. D’ailleurs, CCI Normandie accompagne ces projets grâce à la plateforme CCI Business qui a été agréée par EDF pour passer 100 % de ses marchés et l’imposer à ses sous-traitants de rang 1. Car l’électronucléaire va être trusté par les grands noms du secteur, mais derrière il va y avoir des centaines de marchés annexes qui seront pour nos PME, pour nos entreprises normandes.
Quels sont vos liens avec le territoire ?
V.L. : Nous travaillons très bien avec la Région sur le sujet de la création d’entreprise qui fait partie de notre ADN. Mais nous avons aussi un partenariat extraordinaire sur le volet de la formation, une des compétences fortes de la CCI Normandie. Il faut garder à l’esprit que, pour faire grandir nos entreprises, il y a aussi la question des compétences. Nous avons ainsi treize établissements de formation sur les territoires qui accueillent 50 000 jeunes par an, avec un taux d’employabilité entre 80 et 85 % en sortie de cursus.
Et, bien sûr, nous travaillons aussi avec la Région dans le cadre de la Team France Export, à laquelle est aussi associée Business France qui, je le rappelle, est née en Normandie. Nous sensibilisons environ 1000 entreprises par an, et en accompagnons 360 sur ce sujet. C’est un point important. Quand on a une économie un peu « flat », aller chercher quelques points de croissance à l’international, c’est toujours intéressant… On se doit de donner aux dirigeants toutes les clés pour qu’ils réussissent leur aventure.
Propos recueillis par Benoit Delabre, pour Aletheia Press
Olivier Rousseille prend les rênes de la CCI Rouen Métropole
Olivier Rousseille a succédé en mars Vincent Laudat à la présidence de la CCI territoriale Rouen Métropole pour clore la mandature en cours qui s’achève en 2026. A 54 ans, Olivier Rousseille dirige trois entreprises du bâtiment : Prieur (gros œuvre) à Calleville-les-Deux-Eglises, Verhaeghe (couverture) à Rouen et Louvet JAD (couverture et étanchéité) à Offranville. Il est par ailleurs, depuis fin 2021, président de la Fédération française du bâtiment (FFB) de Normandie.