«Nous avons beaucoup d'inquiétudes pour l'avenir»
À Lille, le tribunal de commerce a mis en place le télétravail depuis le début de la crise du Covid-19 et a pu continuer ses missions de conseil et d'accompagnement. Les mesures gouvernementales ont oxygéné les entreprises le temps du confinement... Quid de la reprise ? L'anticipation, grâce à une conciliation amiable, serait la meilleure réponse pour éviter d'aggraver la situation des entreprises.
À l’heure du déconfinement progressif, certaines entreprises reprennent doucement vie. Les différentes mesures d’aide annoncées par le Gouvernement ont été une première étape nécessaire à la survie des entreprises en plus grande difficulté financière durant le confinement et un premier socle du long chemin des chefs d’entreprise vers la reprise économique. Dans ce contexte pandémique incertain, l’activité du tribunal a nécessairement été réduite, mais s’est maintenue grâce notamment au télétravail et aux audiences digitalisées (pour les contentieux et les suivis).
Ainsi, les entreprises ont pu, et peuvent toujours, se rapprocher du personnel judiciaire. Depuis le 11 mai, le tribunal a repris vie après la dématérialisation. «Les audiences physiques vont reprendre progressivement, même si nous allons privilégier le télétravail jusqu’au 1er juin, explique Éric Feldmann, président du tribunal de commerce de Lille Métropole. Dès le 2 juin, nous reprendrons une activité normale si le contexte le permet.» Une reprise attendue par le tribunal qui est avant tout un lieu d’écoute où «des hommes et des femmes échangent, car les juges sont avant tous des hommes et des femmes, qui plus est chefs d’entreprise, qui comprennent les situations problématiques dans lesquelles se retrouvent les dirigeants». Même si le numérique a permis une réactivité efficace qui a prouvé que le tribunal «sait faire», il n’en reste pas moins que «l’oralité des débats» reste le socle de toutes les audiences. Pour les dirigeants et les juges qui se rencontrent au tribunal, «rien ne vaut le contact direct et rien ne peut le remplacer», confie Éric Feldmann.
Un bilan en demi-teinte
Depuis le 12 mars, les audiences des cessations de paiement sont figées, liées aux mesures d’aide et au contexte pandémique : sur initiative du dirigeant, le tribunal a enregistré sept ouvertures de procédures collectives par semaine (contre sept fois plus habituellement).
Mais l’urgence pour le tribunal de commerce de Lille se trouve ailleurs. Les PGE de l’État, destinés aux entreprises en détresse financière, ont un impact sur l’activité du tribunal. Même si en Hauts-de-France environ 97% des PGE sont accordés, reste 3% des entreprises sans solution. Pour elles, seul le Fonds de premiers secours – un prêt remboursable sur une durée de 36 mois (dont 6 mois de différé de remboursement) d’un montant compris entre 5 000 et 50 000 euros – subsiste. «Nous avons eu 131 demandes pour ce fonds, tout en sachant qu’il est destiné aux entreprises qui se sont vu refuser le PGE, explique Éric Feldmann. Mais certaines entreprises l’ont demandé sans passer par leur banque, alors nous les avons conseillées… Résultat, 30 d’entre elles ont bénéficié du PGE ; 10 dossiers ont été accordés pour le Fonds de premiers secours et 17 ont été refusés car jugés inéligibles en raison de difficultés avant la crise, car ce dernier est octroyé pour celles qui allaient bien auparavant.» Du reste, 50% des dossiers sont encore en attente d’une réponse concernant le PGE.
«C’est l’incertitude actuellement, mais nous craignons une vague déferlante de dépôts de bilan, même si nous espérons le contraire»
Une reprise incertaine
Du côté du crédit interentreprise, le socle des finances des TPE/PME, là aussi une problématique apparaît, comme le constate Éric Feldmann : «Au vu du contexte, des dirigeants retardent leurs paiements aux prestataires, qui retardent eux-même les leurs. Il y a alors un effet domino car tout le monde retarde ses paiements, et il peut y avoir un autre problème qui s’ajoute déjà aux autres. Dans ce cas, le PGE est aussi une bonne solution car le dirigeant de la région qui en bénéficie signe une charte qui l’engage à payer ses prestataires. Dans le même ordre d’idées, la Banque de France ne décote pas les entreprises suite à cette crise. Ce sont des démarches qui évitent d’empirer la situation.»
Face à ce bilan, le président du tribunal de commerce de Lille reste prudent. Il considère les mesures du Gouvernement comme «les bienvenues» et «nécessaires», mais «pour l’immédiat court terme».
La reprise économique est une tout autre affaire, et c’est un nouveau défi qui attend les entreprises ainsi que le tribunal. «Nous avons beaucoup d’inquiétudes pour l’avenir. Nous sommes encore en état d’urgence sanitaire et nous aurons le bilan probablement en juin et juillet car, pour le moment, les mesures sont bénéfiques pour le maintien des entreprises. Mais il faudra rembourser ces reports. Puis, les bars et les restaurants sont pour l’heure encore à l’arrêt et dans l’incertitude. Et même s’il y a une reprise, il va falloir appliquer les règles sanitaires, mais le problème est que ces règles ne peuvent pas faire fonctionner un bar ou un restaurant de façon habituelle. Il y aura donc aussi une baisse du chiffre d’affaires. C’est l’incertitude actuellement, mais nous craignons une vague déferlante de dépôts de bilan, même si nous espérons le contraire.» Cette baisse d’activité du tribunal n’est donc pas synonyme de bonne nouvelle : les entreprises en difficulté avant le confinement se retrouveront dans une situation identique, voire pire, lors du déconfinement.
L’anticipation, la solution ?
Ce contexte inédit fige les entreprises et leur marge de manœuvre est limitée. Éric Feldmann rappelle un des rôles principaux du tribunal : accompagner les entreprises. «Des outils existent et le personnel judiciaire est là pour conseiller ainsi que proposer des solutions adaptées aux problématiques rencontrées par les dirigeants.» Pour éviter le pire des scénarios, durant cette crise sanitaire, c’est pourtant l’anticipation la solution subsidiaire qui pourrait sauver les entreprises. Cette conciliation amiable «fonctionne très bien» selon Éric Feldmann, qui encourage «fortement» les dirigeants à solliciter cette dernière, notamment à travers le mandat ad hoc qui est, de plus, confidentiel. «Il est fort à parier que les entreprises de moins de dix salariés vont souffrir en silence car ce sont les plus silencieuses, mais il faut qu’elles se manifestent pour demander de l’aide, nous sommes à leur écoute», conclut le président du tribunal de commerce de Lille.