Entretien avec Maître Marie-Christine Dutat, bâtonnier à l'Ordre des avocats de Lille

«Notre profession revient aux sources : l'accompagnement du justiciable avant tout»

Depuis janvier 2021, Maître Marie-Christine Dutat est bâtonnier à l'Ordre des avocats de Lille. Une fonction prenante dans un contexte judiciaire bouleversé fin 2021 par les différents mouvements sociaux de la profession.

Marie-Christine Dutat est également avocate associée au sein de la SCP Masson & Dutat. Elle est spécialisée en droit immobilier et en droit public.
Marie-Christine Dutat est également avocate associée au sein de la SCP Masson & Dutat. Elle est spécialisée en droit immobilier et en droit public.

La Gazette Nord-Pas-de-Calais : Me Dutat, quel est votre parcours ?

Marie-Christine Dutat : J'ai suivi mes études à la Faculté de droit, puis j'ai intégré l'EDHEC Lille en admission sur titre en deuxième année. Je suis également titulaire d'un diplôme universitaire de droit des assurances, puis j'ai intégré le barreau de Lille. Je me suis investie aussi dans le milieu syndical, notamment auprès de l'Union des jeunes avocats, puis au niveau national à la Fédération nationale de l'Union des jeunes avocats. S'en est suivie mon élection au Conseil national des barreaux ; c'est à ma sortie du CNB que je me suis présentée au Conseil de l'Ordre et, au bout de trois ans, au bâtonnat.

Avec un programme en particulier ?

J'ai succédé à Jean-Baptiste Dubrulle. Même si j'étais l'unique candidate, cela ne m'a pas empêchée d'avoir un programme ! Je peux notamment vous citer la reprise de la bibliothèque avec l'accès à une documentation numérique pour tous. Aujourd'hui, les accès à distance permettent à tous les avocats de se documenter, dans l'objectif d'une justice de qualité. Dans les grands points de cette année également, une remise à plat des délais, mais aussi du budget, un incubateur de cabinet d'avocats, etc.

C'est-à-dire ?

Le budget n'avait pas été augmenté depuis 10 ans. Le barreau de Lille contribue au fonctionnement de l'aide juridictionnelle, mais les budgets étaient déficitaires. Dans mon programme, j'ai également voulu mettre en place un fonds de solidarité. Il s'agira de récolter des fonds à destination du milieu associatif, puis de porter des projets par la suite. Cela a déjà été le cas avec Vraies gueules d'assassins, ce documentaire de 90 minutes pour célébrer le 40e anniversaire de l'abolition de la peine de mort en France. En six mois, nous avons réalisé ce film avec Alexia Hanicotte, aujourd'hui diffusé en replay sur Public Sénat sur France 3 Régions. Les fonds tirés de ce film seront directement versés au fonds de solidarité.

En quoi consiste-t-il ?

Il existe déjà dans les barreaux de Paris et Lyon et en observant son fonctionnement, j'ai voulu le transposer à Lille. Pour les avocats, c'est contribuer à l'oeuvre de justice et, pourquoi pas, s'investir également dans le milieu associatif. Nous avons toujours donné aux associations, mais nous avons la volonté d'apporter une aide plus importante.

Est-ce aussi l'occasion pour le barreau de s'ouvrir ?

Nous ne souffrons pas d'un manque de connaissance de la profession, mais elle ne jouit pas toujours d'une bonne image. Aujourd'hui la vision de l'avocat, c'est essentiellement celle des affaires médiatiques, qui ne sont qu'une infime part de notre travail au quotidien ! Nous faisons beaucoup d'autres choses ! Le métier d'avocat aujourd'hui, ce n'est pas seulement du droit pénal, du droit de la famille, c'est aussi le droit des sociétés, des associations... Notre métier est pluridisciplinaire. En fait, on revient aux sources : l'avocat, c'est avant tout l'assistance et la défense, mais aussi l'accompagnement du justiciable.

L'Ordre des avocats de Lille compte 1 400 avocats. Vous recrutez ?

La profession se modernise et avec la procédure pénale numérique, nos méthodes de travail vont changer mais nous avons beaucoup de difficulté – et c'est le cas au niveau de tous les barreaux – à trouver des collaborateurs. Et le barreau de Lille a cette caractéristique d'être plutôt un barreau de cabinets individuels. Mais, je le répète, ce n'est pas du tout une profession bouchée !

La profession s'est particulièrement mobilisée en décembre 2021. Vous souhaitez davantage prendre part au débat public ?

En effet, il y a d'abord eu la mobilisation avec le régime des retraites, puis celle de l'arrêt des réformes et du Covid. Nos revendications sont communes avec les magistrats, notamment sur un malaise au travail. Nous sommes tous convaincus d'un manque de moyens dans la justice : on nous parle d'une augmentation de budget de l'ordre de 30% mais où vont les fonds ? Ce que nous souhaitons, ce sont des études sur les moyens et les besoins, tribunaux par tribunaux. Ce ne sont pas des recrutements de contractuels qu'il nous faut mais bien des magistrats et des greffiers. Aujourd'hui on privilégie la gestion des stocks au détriment de la gestion du fond des affaires.

En quoi le Covid a-t-il bouleversé la profession ? On parle de délais de plus en plus longs...

Comme je l'ai évoqué précédemment, nous voulons faire évoluer la profession, en concertation avec les magistrats. Le Covid a modifié nos façons de travailler comme c'est le cas pour toutes les professions. Il est certain que la pandémie a rallongé les délais de quelques mois, mais les avocats peuvent être force de proposition concernant les attentes des justiciables, notamment avec les modes alternatifs de règlement des litiges.

Quels sont les événements à venir pour cette année ?

Nous allons avoir la revue des UJA (Union des jeunes avocats) – une mise en scène par les jeunes avocats en avril 2022 – et la rentrée du barreau le 25 novembre, couplée avec le passage du bâton à Me Florent Méreau qui prendra ses fonctions en janvier 2023. Nous organisons aussi le Prix littéraire du barreau de Lille – une sélection de cinq livres autour du thème de la justice –, en collaboration avec le Furet du Nord. Ainsi que la montée en compétences de notre partenariat avec Sciences-Po Lille sur le harcèlement, et la création d'un incubateur de cabinets d'avocats avec l'Edhec.