Entretien avec Marie-Sophie Lesne, vice-présidente des Hauts-de-France en charge de l’agriculture, l’agroalimentaire et la pêche
Normandie, Hauts-de-France, Grand-Est : la nouvelle Bioéconomie Valley
Depuis le 28 février 2022, les régions Normandie, Hauts-de-France et Grand-Est se sont regroupées pour accélérer le développement de ce secteur. Marie-Sophie Lesne, vice-présidente des Hauts-de-France en charge de l’agriculture, l’agroalimentaire et la pêche, fait le point sur les avancées.
Cette association survient après un premier masterplan de la bioéconomie adopté par la Région en 2018. Ce regroupement est-il du à un manque de résultat de ce plan ?
Non, c’est l’inverse. C’est parce que nous sommes déjà une région leader de la bioéconomie {270 projets accompagnés entre 2018 et 2021 pour 72 M€ de fonds publics grâce au masterplan}. Les deux tiers de notre surface territoriale sont utilisés pour l’agriculture. Notre terreau fertile nous permet d’avoir une biomasse conséquente. Et nous pouvons compter sur des instituts de recherche (Codem …), de formation, sur la présence de semenciers, start-ups et entreprises de premier plan qui offrent un potentiel de développement.
Quel intérêt de travailler avec le Grand-Est et la Normandie ?
Nous souhaitons additionner nos forces de frappe et mutualiser nos surfaces agricoles, avec l’aide du Pôle Industrie & Agro-Ressources et le réseau Bioeconomy for Change. Des AMI Appel à Manifestation d’intérêt communs ont été lancés pour financer des projets innovants. Et des rencontres inter-régionales à Lille et Chalon ont été organisées pour parler de la protéine végétale et la fibre végétale. La prochaine devrait être en 2024 en Normandie, autour de la méthanisation ou des matériaux biosourcés.
Où en sont ces AMI ?
24 projets innovants ont été déposés, soit 98 acteurs sur les trois régions. Pour l’AMI sur les protéines végétale et nouvelles protéines, 7 dossiers ont été sélectionnés et deux vont être soumis au vote des élus en novembre pour bénéficier de financement pour plus de 600 K€. Cela concerne aussi bien une entreprise qui aide la filière des légumineuses à se structurer, qu’un laboratoire qui valorise des algues pour de nouveaux marchés ou encore une bioraffinerie qui développe des ingrédients pour l’alimentation humaine et animale à base d’oléoprotéagineux (pois, soja, colza …). Egalement, 11 projets ont été déposés pour l’AMI fibre mais les sélectionnés ne sont pas encore connus. Mais globalement, on ne parle pas assez de bioéconomie.
C’est vrai et en même temps, ces dernières années, ces filières donnent l’impression de ne pas réussir à s’imposer. Quels sont les freins à leur essor ?
Ce sont d’abord des freins de rentabilité de la production primaire, comme pour les pois protéagineux par exemple. Leur production s’effondre car ce n’est pas assez rémunérateur pour l’agriculteur. On butte aussi sur la massification de la production de matériaux biosourcés, comme par exemple les briques de chanvre, car il n’y a pas toujours les certifications nécessaires au niveau national.
Développez-vous dans ce cas une activité de lobbying ?
Oui bien sûr, on finance des organismes comme le Codem du côté d’Amiens, pour faire volet en éclat ses freins et trouver des entreprises qui acceptent d’utiliser ces matériaux, à partir du moment où les approvisionnements sont assurés. Il y a encore des difficultés à trouver des process semi-industriels, voire industriels. Cette année, nous avons pas mal investi dans le chanvre. On espère déployer cette production grâce à l’investissement dans deux machines. Cela permettrait demain d’avoir des surfaces complémentaires et des coopératives qui structurent la filière. Le souhait est de passer de 1000 à 10 000 hectares d’ici 5 ans. On est donc sur des dynamiques, qui sont d’autant plus puissantes qu’on les prend en main collectivement, et ce en phase avec la stratégie de la Troisième révolution industrielle.
La Bioéconomie en chiffres
Ce secteur regroupe toutes les activités de production et transformation de la biomasse issue du milieu agricole, forestier ou aquacole (céréales, légumineuses, micro-algue, levure, insectes, micro-organisme, déchets…) pour la production alimentaire (humaine ou animale), de matériaux (emballage, isolant, revêtement …), d’énergie (méthanisation, biocarburant) et de chimie (peinture, solvants, cosmétique …). Ce sont bien souvent des produits innovants à empreinte carbone réduite. Cela concerne en France 1,9 millions d’emplois et 300 Mrds € de chiffre d’affaires.