Dossier spécial textile
Margueroy «habille» les plus grands hôtels du monde
Bien cachée à Montigny-en-Cambrésis, la manufacture de la célèbre Maison parisienne de tissus Pierre Frey regorge de trésors. Parmi lesquels deux métiers à bras datant du 19ème siècle... Rencontre avec Gaylord Hecquet-Ruffin et Sébastien Trocme.
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C'est une manufacture textile du Nord méconnue et pourtant, elle «habille les plus grands hôtels du monde», sourit Gaylord Hecquet-Ruffin, responsable logistique chez Margueroy, à Montigny-en-Cambrésis. Rideaux, revêtements pour les fauteuils, les canapés ou les murs trônent dans des établissements tels que le George V à Paris, le Monte Carlo à Monaco... et même le train Orient-express ! «On tisse de belles choses... On sait que ça fait rêver les gens», poursuit Sébastien Trocme, responsable de la production.
Anne Lavarde, l'une des quatre stylistes, passée par les Arts Déco à Paris, feuillette son carnet de style : des dizaines de pages où des pièces de tissus sont soigneusement annotées. «Souvent le client a une inspiration, nous donne une piste, et ensuite c'est à nous de jouer», explique-t-elle. Sur son ordinateur, elle travaille pixel par pixel les couleurs et les motifs de ce qui passera ensuite en production, où s'affairent une quarantaine de collaborateurs.
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Parmi eux, deux profils que l'on ne peut pas manquer : Olivier Joannen et Pauline Desmullier. Le premier a tout récemment formé la seconde, trentenaire, à travailler sur l'un des deux métiers à bras que compte l'atelier. Deux merveilles du 19ème siècle comme il en demeure très peu en France, et essentiellement du côté des soieries lyonnaises. Un mètre par jour par machine quand plus loin, du côté des plus modernes métiers à ratières et autres jacquards - une trentaine au total -, on tisse une centaine de mètres par machine quotidiennement.
«L'activité monte en flèche»
La maison-mère, le célèbre éditeur parisien de tissus Pierre Frey, représente l'essentiel de la clientèle de Margueroy, qui dispose par ailleurs d'un portefeuille de clients externes. Pour la production, direction les quatre coins de l'Hexagone mais aussi les États-Unis et le Royaume-Uni, l'export représentant 80% d'un chiffre d'affaires de près de 10 millions d'euros.
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L'entreprise de tissage, fondée en 1957 par Adof Denimal et rachetée en 1989 par la maison Frey (elle ne sera baptisée Margueroy qu'en 2014), n'en finit pas de grandir. «La tendance est très positive depuis le covid. Nous étions 35 il y a trois ans, nous sommes désormais 47», s'y enthousiasme-t-on. «C'est même la folie depuis le mois de mai. On a tellement d'activité que l'on travaille même le samedi !». Chaque année, la société investit une dizaine de milliers d'euros sur l'outil industriel. Et met un point d'honneur à former la nouvelle génération sur ce secteur de niche. «Il n'y a plus d'écoles qui initient à nos métiers». Sur l'année 2024, cinq jeunes sont devenus tisserands chez Margueroy. Et c'est là que réside la plus grande fierté des dirigeants de la manufacture. «Il y a eu un choc générationnel : auparavant, dans les familles, on conseillait à ses enfants de travailler dans le textile. Mais tout cela a été cassé par un exode des usines et des savoir-faire. Alors nous sommes extrêmement fiers d'accompagner des jeunes».
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Sourcing responsable
Challenge de remplacement de l'ancienne garde et des savoir-faire, notion de transmission... mais aussi de responsabilité environnementale. Le sourcing du fil - naturel ou synthétique -, se fait exclusivement sur les zones frontalières (Belgique, Espagne et Italie). Et quand, il y a trois ans, à peine 15% des matières non utilisées étaient recyclées, ce niveau atteint désormais 98%. Quant à la R&D, plus question par exemple d'utiliser du téflon pour la déperlance... Le bien-être des salariés est également au premier plan, notamment via un travail sur l'amélioration de la posture des salariés pour prévenir les maux de dos. Car, au-delà de l'art et de l'artisanat, «on reste essentiellement sur des métiers ouvriers».
Chiffres-clés
- 1957 : fondation de la manufacture Denimal
- 1989 : rachat par la Maison Pierre Frey
- 2014 : la manufacture Denimal est rebaptisée «Margueroy»
- 47 collaborateurs, dont quatre stylistes
- 10 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 80% réalisés à l'export, essentiellement aux États-Unis et au Royaume-Uni
- 5 000 m² d'atelier
- 30 métiers à tisser (Jacquard ou à ratière) pour une centaine de mètres de production quotidienne
- Deux métiers à bras du 19ème siècle (un mètre de tissu par jour chacun)
- 10 000 références de fils
- Dix densités de fils différentes
- 150 couleurs de fil acrylique, déclinées en douze qualités chacune (à titre d'exemple !)
Pierre Frey, la maison-mère...
Fondée en 1935, la Maison Pierre Frey crée et édite des étoffes en puisant son inspiration dans l’art classique et contemporain ou d’ethnies lointaines, dont l’interprétation traduit toujours un style très français. Elle acquiert, à partir des années 1990, les maisons de textiles Braquenié, Boussac, Fadini Borghi et Le Manach, offrant ainsi à ses clients un éventail de styles allant du classicisme aux créations contemporaines. Principal acteur français du textile d’ameublement, Pierre Frey est aussi une histoire de famille, transmise depuis trois générations. Patrick Frey s’est en effet entouré successivement de ses trois fils : Pierre, Vincent et Matthieu pour diriger et étendre le territoire de l’entreprise.