Marchés publics : la Cour des comptes européenne sévère envers la Commission
Dans un récent rapport spécial 28/2003 relatif aux marchés publics passés au sein de la zone européenne, la Cour des Comptes européenne ne mâche pas ses mots sur la politique menée par la Commission, et notamment sur les directives de 2014, dont est directement issu notre Code de la commande publique français. Explications.
Un cadre juridique européen
Rarement un rapport de cette institution assez méconnue aura autant fait parler de lui. C’est pourtant le cas du document publié le 4 décembre 2023 par la Cour des comptes européenne (CCE, l’équivalent de notre Cour des comptes au niveau de l’Union européenne). Le jugement est tel, qu’immédiatement après la publication du rapport, la Commission européenne a souhaité répondre publiquement par un communiqué de presse.
Le rapport avait pour but, selon la CCE, d’évaluer l’utilisation des deniers affectés au marchés publics et surtout le niveau de concurrence de ces marchés, celui-ci devant bien entendu être le plus important possible. En effet, la Cour note que chaque année, quelque 2 000 milliards d’euros, soit 14% du produit intérieur brut de l’UE, font l’objet de marchés publics. Etant donné l’importance des marchés publics, l’UE devait, d’un point de vue démocratique, se doter dotée d’un cadre juridique adéquat. Celui-ci comprend trois directives, dont deux ont fait l’objet d’une réforme en 2014, la troisième, nouvelle, étant ajoutée cette année-là.
Avec cette refonte, l’Union entendait assouplir les marchés publics, grâce à des procédures simplifiées, améliorer l’accès des PME à la commande publique et faciliter une utilisation plus stratégique des marchés publics, pour en tirer de meilleurs résultats. La réforme de 2014 visait également à renforcer les exigences en matière de transparence et à durcir les dispositions relatives à l’intégrité, afin de lutter contre la corruption et la fraude.
Ces directives européennes ont été transposées directement dans le Code de la commande publique français, entré en vigueur le 1er avril 2019.
Un jugement sévère de la CCE
Le résultat de l’analyse de la Cour est sans appel. Pour résumer, elle note que «le niveau de concurrence dans les marchés publics pour la fourniture de travaux, de biens et de services au sein du marché unique de l’UE a diminué au cours de la dernière décennie» et ce, en dépit des mesures de simplification et d'ouverture aux PME introduites par les directives de 2014.
Pour arriver à cette conclusion, les magistrats financiers constatent, après analyse des statistiques, une «augmentation globale significative des marchés à soumissionnaire unique», un «niveau élevé d’attribution directe de marchés dans la plupart des États membres», ainsi qu’un «faible nombre de marchés publics transfrontaliers directs entre les États membres».
Ainsi, pour la CCE, l’entrée en vigueur des directives réformées n’a clairement pas eu d’effet démontrable. Pire, la juridiction financière note que les soumissionnaires et les pouvoirs adjudicateurs estiment souvent que les procédures de marché public continuent de générer une charge administrative importante. A cet égard, la réforme de 2014 est restée largement inefficace en termes de réduction des formalités administratives, les procédures s'étant allongées de près de 50%, au cours de la dernière décennie.
De plus, et peut-être plus inquiétant pour nos PME, la Cour s’étonne qu’il n’y ait pas eu de «hausse sensible de la part des petites et moyennes entreprises participant aux marchés publics», ce qui était pourtant un objectif clairement affiché des directives de 2014. De même, les aspects stratégiques (liés à l’environnement, aux conditions sociales et à l’innovation, par exemple) sont visiblement rarement pris en compte dans les appels d’offres publics, puisqu’on constate que globalement, les soumissionnaires les plus bas continuent remporter la majorité des contrats.
Enfin, la CCE estime que la transparence, rempart essentiel contre le risque de fraude et de corruption, «fait les frais de taux de publication qui stagnent à des niveaux faibles» (d’où un nombre d’entreprises soumettant des offres ayant presque diminué de moitié depuis 2011).
Les suites du rapport
Après cette analyse sévère, la Cour des comptes invite la Commission européenne à :
- clarifier et hiérarchiser les objectifs en matière de marchés publics ;
- combler les failles dans les données collectées sur les marchés publics ;
- améliorer ses outils de suivi, afin de permettre une meilleure analyse ;
- étudier plus en détail les causes profondes de la faible concurrence et proposer des mesures qui visent à lever les principaux obstacles à la concurrence dans les marchés publics.
Dans une réponse publiée par voie de communiqué de presse, le 5 décembre dernier, la Commission européenne reconnaît globalement les lacunes pointées du doigt par la Cour des comptes et s’engage notamment sur les quatre recommandations, avec des actions très précises à dérouler d’ici 2025. A suivre...